Objets de la maison : Différence entre versions
(3 révisions intermédiaires par le même utilisateur non affichées) | |||
Ligne 5 : | Ligne 5 : | ||
− | L'extracteur | + | '''L'extracteur''' |
− | Elle disait "extracteur" en prenant soin de faire résonner toutes les consonnes - je parle de ma grand-mère . Son français était parfaitement correct. Bien sûr, il y avait le roulement des "r", un léger roulement qui n'avait rien à voir avec les roulement de sifflets à billes des | + | Elle disait "extracteur" en prenant soin de faire résonner toutes les consonnes - je parle de ma grand-mère . Son français était parfaitement correct. Bien sûr, il y avait le roulement des "r", un léger roulement qui n'avait rien à voir avec les roulement de sifflets à billes des mauvais imitateurs qui prétendent imiter l'accent paysan. |
le "r" de ma grand-mère était un effet de vibration entre le souffle et le palais. L'action de la langue n'entrait nullement en ligne de compte. | le "r" de ma grand-mère était un effet de vibration entre le souffle et le palais. L'action de la langue n'entrait nullement en ligne de compte. | ||
Ligne 15 : | Ligne 15 : | ||
Toujours est-il que lorsqu'elle disait "extracteur" mes oreilles d'enfant restaient pantoises devant la rareté couplée du nom et de la chose. | Toujours est-il que lorsqu'elle disait "extracteur" mes oreilles d'enfant restaient pantoises devant la rareté couplée du nom et de la chose. | ||
− | Le mot n'était quasiment pas employé dans le quotidien de l'enfant. La chose était plus que rare si on la comparait aux objets communs : meubles, vaisselle, litterie, coffre à jouets, brosses et balais, livres et revues, fourches et fourchettes, brouettes et | + | Le mot n'était quasiment pas employé dans le quotidien de l'enfant. La chose était plus que rare si on la comparait aux objets communs : meubles, vaisselle, litterie, coffre à jouets, brosses et balais, livres et revues, fourches et fourchettes, brouettes et tracteurs et jusqu'à veaux vaches cochons couvées. |
L'extracteur du grand-père était le seul du village et peut-être même des villages voisins. | L'extracteur du grand-père était le seul du village et peut-être même des villages voisins. | ||
− | Une pièce de la maison était consacrée à son usage quasi exclusif. On utilisait aussi la pièce pour stocker des conserves, mais l' | + | Une pièce de la maison était consacrée à son usage quasi exclusif. On utilisait aussi la pièce pour stocker des conserves, mais l'extracteur qui trônait au centre était l'honorable et incontesté maitre du lieu. |
L'extracteur du grand-père affirmait aux yeux de l'enfant le côté mystérieux de cet homme taciturne. Lui seul en assurait le maniement, pourtant si simple qu'un enfant aurait pu s'y employer. Si je me souviens bien, une fois ou deux, mon grand-père m'avait laissé tourner la manivelle. | L'extracteur du grand-père affirmait aux yeux de l'enfant le côté mystérieux de cet homme taciturne. Lui seul en assurait le maniement, pourtant si simple qu'un enfant aurait pu s'y employer. Si je me souviens bien, une fois ou deux, mon grand-père m'avait laissé tourner la manivelle. |
Version actuelle datée du 9 février 2019 à 17:17
Voir La dernière folie de Claire Darling réalisé par Julie Bertuccelli.
- Sortie le 6 février 2019.
L'extracteur
Elle disait "extracteur" en prenant soin de faire résonner toutes les consonnes - je parle de ma grand-mère . Son français était parfaitement correct. Bien sûr, il y avait le roulement des "r", un léger roulement qui n'avait rien à voir avec les roulement de sifflets à billes des mauvais imitateurs qui prétendent imiter l'accent paysan.
le "r" de ma grand-mère était un effet de vibration entre le souffle et le palais. L'action de la langue n'entrait nullement en ligne de compte.
Ses "h" aspirés étaient un délice qui permettait d'évoquer des pans entiers de forêts ariégeoises, montagneuses et pentues sans qu'il puisse y avoir la moindre confusion entre l'arbre et un être quelconque. Hêtre ou être.
Toujours est-il que lorsqu'elle disait "extracteur" mes oreilles d'enfant restaient pantoises devant la rareté couplée du nom et de la chose.
Le mot n'était quasiment pas employé dans le quotidien de l'enfant. La chose était plus que rare si on la comparait aux objets communs : meubles, vaisselle, litterie, coffre à jouets, brosses et balais, livres et revues, fourches et fourchettes, brouettes et tracteurs et jusqu'à veaux vaches cochons couvées.
L'extracteur du grand-père était le seul du village et peut-être même des villages voisins.
Une pièce de la maison était consacrée à son usage quasi exclusif. On utilisait aussi la pièce pour stocker des conserves, mais l'extracteur qui trônait au centre était l'honorable et incontesté maitre du lieu.
L'extracteur du grand-père affirmait aux yeux de l'enfant le côté mystérieux de cet homme taciturne. Lui seul en assurait le maniement, pourtant si simple qu'un enfant aurait pu s'y employer. Si je me souviens bien, une fois ou deux, mon grand-père m'avait laissé tourner la manivelle.
La puissance décuplée d'un petit mouvement de poignet faisait tourner de plus en plus vite les cadres désoperculés et le miel était projeté sur les parois de cette cuve couleur d'armure de chevalier.
L'enfant n'arrivait jamais à se souvenir si c'était la force centripète qui s'exerçait, ou la force centrifuge.
Le miel prenait son temps pour couler mollement, attiré vers le bas de la cuve par la force de gravité.
Le recueil du liquide doré au fond de la cuve argentée prenait la valeur du geste d'un alchimiste
Claude