Doc:Judith Gautier : Iseult
Sommaire
Abrégé (pitch)
Thèmes retenus
Origine de l’œuvre
Richard Wagner (1813-1883) fut ami avec Judith Gautier (1845-1917) qui commenta son œuvre :
→ Richard Wagner et son œuvre poétique (Judith Gautier, 1882) (Wikisource)
Dans cet ouvrage, elle livre, entre autres, une analyse de l’opéra de Wagner Tristan et Iseult
- → Tristan und Isolde, livret écrit par Richard Wagner en 1865
- → traduction en français par Victor Wilder (Wikisource)
Opéra qui inspirera son conte Iseult (1885). Cependant, Judith Gautier puise aussi directement ses sources dans la légende médiévale.
- → Thomas d’Angleterre : Tristan (1170) (Wikisource)
- → Béroul : Tristan (seconde moitié du XIIIe siècle) - Texte établi par Ernest Muret (1861 — 1940) (Wikisource)
- → lire aussi un article de Goulven Péron sur L’origine du roman de Tristan (Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 2016, CXLIII, pp.351-370. ffhal-01571684f).
On pourra lire une version d’'Iseult de 1899 en ligne dans la reproduction numérique de la revue
Les Annales politiques et littéraires du 29 octobre 1899, n°853
Je reproduis ci-dessous (→ section #Iseult (texte intégral 1899)) cette version. ainsi qu’un article de Joseph Bédier sur la légende de Tristan paru dans le même numéro
Iseult (texte intégral 1899)
La véritable histoire de Tristan et Iseult
- par Judith Gautier
- copie de Les Annales politiques et littéraires du 29 octobre 1899, n°853, p. 278-280
I
Le beau chevalier Tristan, neveu du roi de Cornouailles, avait navré à mort Morault, le plus vaillant champion du royaume d'Irlande et, à cause de cette haine, Tristan était chagrin et il se disait :
— Je veux rétablir la paix entre les deux pays.
Et il songea à Iseult, la fille du roi d'Irlande, dont on disait merveille et qui était la plus belle princesse qui lût jamais.
Un jour, Tristan alla trouver son oncle, le roi Marc.
— Sire, dit-il, je vais monter sur un navire ; j'irai vers l'Irlande demander au roi de ce pays sa fille Iseult, afin que vous la preniez pour femme.
Le roi Marc fut joyeux de ce projet, il baisa Tristan tendrement, et lui fit donner un beau navire pour aller en Irlande.
Tristan s'embarqua avec son fidèle écuyer Gourvenal, et un bon vent les poussa vers l'Irlande, où ils débarquèrent bientôt.
Mais lorsqu'ils furent sur les rivages, un chevalier reconnut Tristan et le défia en combat singulier, disant qu'il voulait le tuer et venger la mort do Morault. Tristan accepta le combat et combattit longtemps, car son adversaire était un vaillant chevalier. A la fin, pourtant, il le tua, mais il était luimême blessé.
Gourvenal conduisit son maître au château du roi d'Irlande et la reine fit mettre Tristan dans un beau lit et lui envoya sa fille Iseult, savante en l'art de guérir.
Et la plus belle damoiselle du monde vint vers le plus beau des chevaliers et, doucement, découvrit sa blessure qu'elle tâta du
bout de ses jolis doigts, en poussant de grands soupirs.
— Hélas ! mon beau chevalier, fit-elle, vous êtes mort!
— Quoi! dit Tristan, cette blessure si mince me ferait perdre la vie? J'ai été pourfendu cent fois de plus belle façon et il n'y paraît rien maintenant.
— Oui, dit-elle, la blessure est petite, mais l'arme qui la fit était empoisonnée !
— Donc je mourrai! soupira Tristan. Eh bien ! ce sera sans peine, puisque ma mort est cause que je vous vois.
— Vous êtes un brave chevalier ! s'écria Iseult, vous n'avez pas tremblé un instant. Je parlais pour vous éprouver. Je vais mettre toute mon âme à vous guérir et je vous guérirai, car je sais des secrets contre ce venin.
Iseult posa ses lèvres sur la blessure de Tristan et la baisa longuement, pour en tirer tout le poison mortel.
— Je vous ai fait souffrir, dit-elle en se relevant, mais c'est pour le bien, ne m'en veuillez pas.
Elle regardait doucement Tristan, mais lui, il détourna les yeux et soupira amèrement.
II
A mesure que le beau chevalier guérissait par les soins de la belle Iseult, il devenait de plus en plus triste et, lorsqu'il se leva, il était plus pâle et plus dolent que le jour où il était arrivé blessé à mort.
Tristan se présenta bientôt devant le trône du roi d'Irlande.
— Sire, dit-il, je suis Tristan le vaillant. C'est moi qui ai vaincu Morault dans un combat, mais cotte affaire est déjà ancienne et il est temps que la paix se rétablisse entre l'Irlande et la Cornouailles. C'est pourquoi je vous demande la main d'Iseult pour le roi Marc, mon oncle ; elle sera le gage d'amour et de réconciliation entre les deux royaumes.
— Je ne désire rien de plus que la paix, dit le roi d'Irlande ; c'est pourquoi j'accorde volontiers ma fille Iseult au roi Marc. Prends-la donc et l'emmène en Cornouailles.
En entendant cela, la belle Iseult regarda Tristan d'un air de reproche, et elle devint aussi triste que lui et aussi pâle.
Au moment do quitter sa fille, la reine d'Irlande fit venir Brangien, qui avait été nourrie avec Iseult, et lui remit un breuvage.
— Ceci, dit-elle, est « le boire amoureux » ; tu le verseras au roi Marc et à Iseult le jour de leur noce. Cette boisson a une vertu si souveraine qu'ils s'aimeront toute leur vie.
III
Tristan et Iseult montèrent sur le navire avec Gourvenal et Brangien, et un bon vent commença do les pousser vers Cornouailles.
Mais ils étaient tous deux tristes à faire pitié : Tristan appuyé au tillac, morne, sans voix, regardant l'eau comme pour s'y engloutir; Iseult sous latente royale, affaissée sur des coussins, pleurant d'amères larmes, et tordant ses beaux bras avec angoisse.
— Ah! traitre Tristan ! criait-elle, est-ce ainsi que tu reconnais mes services? Plutôt aurais-je dû te laisser mourir, quand tu gisais à ma merci, que de te conserver à grand'peine, pour que tu devinsses aujourd'hui mon bourreau.
— Vois, Brangien, disait-elle, comme il prend souci de moi! Lorsqu'il me regardait avec des yeux qui me semblaient brûlants d'amour, il supputait seulement ce que je valais pour en rendre compte à son oncle :
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Il m'a trouvée digne du vieux roi Marc et me conduit vers lui, sans plus penser à moi.
— N'y pense plus toi-même, dit Brangien, songe que tu vas être reine de Cornouailles, la grande reine d'un beau royaume.
— Je n'aborderai jamais en Cornouailles, dit Iseult, c'est ici que je mourrai, et lui aussi mourra, le preux chevalier.
Et elle ordonne à Brangien, tremblante, de lui verser un breuvage mortel qu'elle, Iseult, a préparé de ses mains et conservé dans un coffret.
Brangien se lamente et se désole, mais Iseult ordonne.
IV
Secrètement, la servante verse dans la coupe le « boire amoureux» que lui a donné la reine d'Irlande.
Iseult prend la coupe et appelle Tristan près d'elle.
— Buvons à la réconciliation de nos deux pays, dit- elle ; bois, loyal chevalier, et, après cette boisson, tu ne boiras plus jamais, car la main qui a su te guérir du poison, pour mon supplice, sait aussi préparer des poisons qui guérissent du supplice de vivre.
— Si c'est la mort que tu me verses, dit Tristan, sois bénie et donne vite ce baume bienheureux qui adoucira la peine brûlante qui me dévore.
Et Tristan boit avidement à la coupe mortelle, mais Iseult en veut sa part.
— J'ai la moitié du mal, dit-elle ; à moi la moitié du baume libérateur !
Ils se regardent alors fièrement, sans souci de la mort.
Mais l'amour qu'ils veulent cacher et qu'ils étreignent dans leur coeur, semble grandir en eux et devient impétueux comme un torrent surpris par une crue subite. Leurs yeux laissent échapper des effluves passionnés, une irrésistible langueur fait frissonner leur corps, ils s'appellent tout bas d'une voix mourante, et bientôt, avec un cri de délivrance, ils s'élancent l'un vers l'autre et s'unissent dans une étreinte que nul, désormais, ne pourra desserrer.
— Hélas! hélas! dit Brangien, vous avez bu le breuvage d'amour !
— Bienfaisant breuvage, qui nous jette l'un à l'autre, dit Iseult.
— Qui brise le sceau que notre volonté avait posé sur nos lèvres et nous arrache les mots qui nous oppressaient, dit Tristan.
— Je vous aime, Tristan, ne le saviez-vous pas?
— Iseult, je t'aime ; doutais-tu de l'amour de Tristan ?
— Je lui ai arraché l'aveu de cet amour, comme on arrache une épée hors d'une blessure !
— Le sang qui coule d'une telle blessure est chaud et abondant, ifcne tarira jamais.
— Ni jour ni nuit, nous ne serons l'un sans l'autre, mon bien-aimé ; nous ne nous quitterons plus désormais, l'absence est la soeur de la mort.
Mais, hélas ! voici les rives de Cornouailles et le peuple sur le rivage, et, au son des trompettes, le roi Marc qui vient recevoir sa fiancée.
Brangien s'arrache les cheveux. Gourvenal entraîne Tristan loin d'Iseult qui pousse des sanglots à tendre l'âme.
V
Et les tristes noces ont lieu en grande pompe, la reine de Cornouailles est proclamée la plus belle reine du monde, et le soir vient.
Mais Iseult déclara qu'elle se tuerait plutôt
plutôt de se laisser approcher par le roi Marc, elle qui était toute à Tristan.
Alors Brangien prit les habits de la reine et Tristan la conduisit au roi à la place d'Iseult, et, lorsque le roi Marc entra, Tristan éteignit les lumières.
— Pourquoi éteins-tu ainsi tous les cierges ? dit le roi.
— Sire, dit Tristan, le soir des noces, telle est la coutume au pays d'Irlande.
VI
Dans la forêt de Morais, il y avait une belle fontaine bordée de mousse épaisse et ombragée par un vieux chêne. C'était au bord do cette fontaine que Tristan et Iseult se donnaient rendez-vous. Car ils craignaient d'être surpris au palais par un nain difforme et trois méchants larrons, qui haïssaient Tristan et le voulaient perdre.
Mais les traîtres découvrirent le lieu du rendez-vous. Ils se cachèrent derrière les arbres et virent les deux amoureux se parler tendrement et se faire mille caresses. Ils allèrent trouver le roi Marc et lui racontèrent ce qu'ils avaient vu; le roi ne voulut pas les croire.
— Venez donc demain, dirent-ils. Cachezvous dans l'arbre qui est près de la fontaine, et vous verrez si nous disons vrai.
Le roi se laissa conduire et se cacha dans le vieux chêne qui ombrageait la fontaine.
Bientôt il vit venir Iseult toute émue et empressée, et elle s'étendit sur la mousse en soupirant d'impatience.
Tout à coup, comme elle regardait l'eau claire de la fontaine, elle vit le roi Marc se reflétant comme un miroir au milieu des branches du chêne.
— Oh ! fit-elle à demi-voix.
Tristan arrivait à ce moment : Iseult se leva et le salua de la main.
— Messire, dit-elle, vous m'avez requis en cet endroit pour vous plaindre à moi de la haine que vous portent le nain du roi et certains larrons qui ne cessent de vous nuire. Vous m'en voyez toute chagrine et je ne sais vraiment que faire, car ils ont toute la confiance du roi.
— Hélas! dit Tristan, qui devina qu'on les observait, je songe à quitter le royaume; c'est le seul moyen d'échapper aux méchants propos qu'ils ne cessent de tenir sur moi.
— Ce serait grand dommage de vous voir partir, dit Iseult; le roi perdrait son plus brave champion, et moi un ami fidèle.
— Hélas! il le faut, dit Tristan, car ce nain souffle au roi de mauvais soupçons sur vous et sur moi.
— Aïe ! est-ce possible ? s'écria la reine ; je puis jurer, cependant, que je n'ai jamais aimé et que je n'aimerai de ma vie d'autre homme que celui qui m'a eue pure en sa possession.
En entendant ce serment, le roi fut tout joyeux, il combla Tristan d'honneurs et tança vivement le nain et les trois larrons; mais ceux-ci dirent au roi :
— Demandez à la reine qu'elle jure, devant les saintes reliques, qu'elle n'a jamais été dans les bras d'un autre homme que vous. Vous verrez si elle y consent.
— Soit, dit le roi.
Et il pria la reine de faire ce serment en grande pompe et publiquement.
— Volontiers, dit Iseult.
VII
Pour se rendre à la chapelle qui renfermait les saintes reliques, il fallait traverser un ruisseau bourbeux qu'on pouvait passer à gué en certains endroits. Iseult fit dire à
Tristan de se travestir en lépreux et de se tenir au bord de ce ruisseau.
Bientôt des fanfares joyeuses se firent entendre. Tristan vit s'avancer toute la cour du roi de Cornouailles.
Iseult marchait en tête sur un superbe paletroi, vêtue d'une longue robe couleur d'azur sur laquelle s'étalaient ses beaux cheveux blonds, un voile fin brodé d'or flottait autour d'elle et était retenu sur sa tête par la couronne de reine, toute rayonnante de pierreries.
Le roi Marc s'avançait non loin d'Iseult; il était couvert du manteau royal, avait sa haute couronne sur la tête et tenait son sceptre dans la main droite.
Quand la cour fut près du ruisseau, Tristan se mit à jouer du flageolet de tout son souffle. Les chevaliers se dispersèrent pour chercher le meilleur endroit du gué. Ils poussaient leurs chevaux qui entraient jusqu'au poitrail dans la boue, ce qui était pitoyable à voir.
La reine n'osait s'avancer, craignant pour sa fraîche parure; elle descendit de cheval et, tirant sa monture par la bride, elle se dirigea vers une petite planche qu'on avait jetée comme un pont au-dessus du ruisseau ; mais elle était si sale et si glissante qu'Iseult n'osa pas y poser le pied.
— Mon pauvre homme! cria-t-elle à Tristan, viens là.
Tristan courut à elle.
— Porte-moi de l'autre côté, dit-elle.
Le mendiant la prit dans ses bras et la fit traverser le ruisseau.
Alors Iseult s'avança vers la chapelle et l'évêque lui présenta le reliquaire d'or où étaient des morceaux de la vraie croix.
— En présence de Dieu et des saintes reliques, que je vois ici, s'écria Iseult à haute voix, je jure que nul homme autre que le roi ne m'a tenue dans ses bras, si ce n'est le pauvre ladre qui vient de me porter pour passer le ruisseau !
VIII
Mais le nain ne se tint pas pour battu. Il surprit, une nuit, Tristan près de la reine, il courut chercher le roi, tandis que les trois larrons entouraient Tristan ; mais Tristan, le preux chevalier, à l'aide de son épée, mit ces traîtres en fuite et s'esquiva.
Le roi arriva mais ne trouva plus, en la chambre, que les larrons et la reine, qui criait bien fort qu'ils la voulaient tuer.
Mais les soupçons du roi furent éveillés de nouveau ; il fit enfermer Iseult dans une tour et défendit qu'aucun homme approchât de cotte tour.
Ainsi séparé d'Iseult, Tristan tomba malade et faillit mourir.
Le roi Marc l'alla voir, tout chagrin.
— Vous perdez votre meilleur chevalier, dit Tristan, car je m'en vais mourir.
Le roi tâcha de le réconforter, mais n'y put réussir ; de son côté, Iseult se lamentait de tout son coeur et elle envoya Brangien vers Tristan.
— Sire chevalier, lui dit-elle, puisque les hommes n'entrent pas dans la tour, où gémit la reine Iseult pour l'amour de vous, faites-vous damoiselle et vous entrerez.
Elle lui donna des habits de fille et Tristan s'en vêtit et il sembla une belle damoiselle.
Il s'en alla avec Brangien et, lorsqu'ils entrèrent dans la tour, un garde demanda:
— Quelle est celle-ci? Et Brangien répondit :
— C'est une damoiselle amie qui arrive d'Irlande.
Ils entrèrent donc et coururent vers Iseult, dont la joie fut telle qu'elle en pleurait.
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LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES
— Mon vaillant chevalier, dit-elle, je croyais ne plus vous revoir.
— Je m'en allais mourir, madame, dit Tristan ; sans votre amour je ne puis vivre.
Le temps qu'ils passèrent dans cette tour fut un temps de joie parfaite ; mais la femme du nain était parmi les servantes de la reine et, au bout de quelque temps, elle découvrit que la damoiselle d'Irlande n'était autre que le chevalier Tristan.
Elle alla faire part de sa découverte à son mari et le traître vint surprendre Tristan, pendant qu'il dormait près de la reine.
Il le fit garrotter et appela le roi Marc.
— Hélas ! hélas ! dit le roi en voyant cela, que croire désormais, puisque Tristan, la loyauté même, est déloyal? Audret, plutôt que de me montrer cette chose, tu aurais dû me cacher qu'elle fût possible.
IX
Tristan fut condamné à être brûlé. On le conduisit au lieu du supplice, au milieu de la foule qui criait et s'indignait et ne voulait pas qu'on brûlât un si pur chevalier.
Tandis qu'il passait devant une église, Tristan réunit toutes ses forces et rompit ses liens. Il entra alors dans l'église, il monta jusqu'à une fenêtre qui donnait sur la mer ; le traître nain le poursuivit et le perça de plusieurs coups d'épée. Mais Tristan s'élança dans la mer, disant que, s'il devait mourir, il aimait mieux mourir ainsi que par le feu. Il nagea de toutes ses forces dans la mer, et, comme il perdait son sang, l'eau était rouge autour de lui. Il aborda à un rocher qui était visible de la côte, et là il s'évanouit.
Tout le monde le crut mort et Gourvenal, tout pleurant, prit un bateau pour aller chercher le corps de son maître. Arrivé près de Tristan, il vit que le héros n'était qu'évanoui ; alors, il le mit dans le bateau et, au lieu de revenir en Cornouailles, à grande peine il se dirigea vers la Bretagne.
Quand Tristan se réveilla, il était dans un château en Bretagne, et Gourvenal, près de lui, pleurant de ne le voir pas plus bouger qu'un mort.
— Ah ! s'écria Gourvenal, tout aise quand il vit son maitre ouvrir enfin les yeux, tu es donc vivant? O le plus vaillant des chevaliers ! tu luttais avec la mort et tu as triomphé d'elle, toi qu'on ne vainquit jamais !
— Où est Iseult? dit Tristan d'une voix faible. Pourquoi la reine bien-aimée n'estelle pas près de moi? Est-elle donc morte qu'elle délaisse ainsi son ami mourant?
— Iseult croit que Tristan n'est plus et toute sa vie coule par ses yeux, mais, maintenant, j'enverrai un navire à la reine de Cornouailles et, en grande hâte, elle viendra vers toi.
— Quoi ! ne sommes-nous pas en Cornouailles ?
— Non, tandis que tu semblais ne plus vivre, je t'amenais dans tes domaines, en Bretagne. C'est ici le château do tes pères.
— Ah! maudit soit celui qui m'éloigne d'Iseult! Mieux vaut être mort sur la terre qu'elle habite, que vivant et séparé d'elle par les cruautés de la mer.
X
Dans son château de Cornouailles, Iseult appelait la mort à grands cris, et pleurait et gémissait sans cesse ; elle était bien près de mourir et, si elle ne mourut pas, c'est sans doute qu'elle ne le put pas.
Tristan vivait encore.
Le roi Maro fut enfin touché de ce grand amour et de ce grand désespoir.
— Ah ! disait-il, si Tristan vivait, je lui pardonnerais et ferais d'Iseult sa femme bien-aimée.
Cependant le message de Gourvenal arriva en Cornouailles, et la reine Iseult courut vers le navire, comme si elle eût été folle.
Mais, hélas! une tempête se lève et entrave la marche du navire, et Iseult se désole et pleure.
Et que dure la tourmente, Iseult se plaint et se démente ; Et Tristan se meurt d'impatience, Souvent se plaint, souvent soupire, Pour Iseult que tant il désire.
Enfin, le navire est en vue, tout le peuple court sur la rive et Tristan se fait porter près de la mer.
Mais le vent est tombé et le navire n'avance pas. Tristan retient son dernier souffle; il sent qu'il va mourir, si Iseult n'arrive.
Je ne puis plus tenir ma vie Pour vous mirer, Iseult, belle amie: N'ayez pitié de ma langueur, Mais de ma mort aurez douleur.
Enfin.
Iseult est de la nef issue.
Elle accourt impétueusement. Tristan tombe dans ses bras, puis de ses bras s'affaisse à terre sans vie.
Tristan le preux, le franc, est mort.
— Oh ! infidèle ami, s'écrie Iseult, tu meurs quand j'ai encore un peu de souffle, tu me laisses sur la terre quelques minutes de plus que toi, pour que j'aie le temps de souffrir mille morts.
Le roi Marc, qui est monté sur un navire et a suivi la reine, arrive après Iseult.
— Je vous apporte le pardon, dit-il ; vivez heureux. Ce grand amour m'a touché ; d'ailleurs, Brangien m'a dit que vous avez bu un breuvage d'amour. C'est lui qui vous rendit ainsi déloyaux, mais, maintenant, je vous donne l'un à l'autre.
— Reprends ton pardon, roi de Cornouailles, dit Iseult, nous nous aimions avant d'avoir bu le breuvage d'amour. Tristan et Iseult se sont aimés de tout temps ; maintenant, ils recommencent une nouvelle vie d'amour, ils vont être unis éternellement, et nul roi ni nul traître ne pourront plus les séparer.
Ainsi moururent, à force d'amour, Tristan et Iseult, dont la touchante histoire ne cessera jamais d'émouvoir ceux qui l'entendront conter.
Tristan mourut pur sun désire Iseult qu'à lui ne peu venir ; Tristan mourut pur su amour E la belle Iseult pur tendrur.
JUDITH GAUTIER.
Documentation
→ Judith Gautier, érudite intuitive par Juliette Delobel (Revue de la BNF sur Cairn.info)