Doc:Psyché et Éros : 2. Psyché au palais d'Éros

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Analyse 1

Sommaire

L'union de Psyché avec l'inconnu

Le mystérieux époux vient s'unir à Psyché.
Notons qu'on comprend qu'elle ne le voit pas mais il n'est pas encore précisé qu'elle n'a pas le droit de le voir. Par ailleurs, elle ne souffre nullement de cette union.
Psyché s'habitue à cette vie et l'apprécie.

(3) mais déjà l'époux mystérieux est entré, il a pris place, et Psyché est devenue sa femme. Aux premiers rayons du jour il a disparu. (4) Aussitôt les voix sont là pour prêter leur ministère à l'épouse d'une nuit et panser de douces blessures.

Le temps s'écoule cependant, et chaque nuit ramène la même scène. (5) Par un effet naturel, Psyché commence à se faire à cette singulière existence ; l'habitude lui en semble douce ; et le mystère de ces voix donne de l'intérêt à sa solitude.

L'absence de Psyché dans le monde qu'elle a quitté

Les parents de Psyché ne se remettent pas de l'avoir abandonnée. Leurs deux filles restantes viennent les consoler.

(6) Cependant les malheureux parents usaient leurs vieux jours dans une douleur sans fin. L'aventure de Psyché avait fait du bruit, et la renommée l'avait fait parvenir aux oreilles de ses soeurs aînées. Toutes deux, le cœur serré, et la douleur peinte sur le visage, avaient quitté leurs foyers, empressées d'aller chercher la présence et l'entretien de leurs vieux parents.

L'interdiction faite à Psyché de communiquer avec sa famille

L'époux inconnu interdit à Psyché de donner signe de vie à sa famille qui la croit morte. De ce fait, elle doit promettre de ne pas revoir ses sœurs qui vont tenter de l'approcher.
Ne supportant pas de laisser ainsi les siens dans un malheur qu'elle pourrait effacer en les détrompant, Psyché perd tout goût de vivre.
Notons qu'on peut aussi comprendre que Psyché prend conscience de sa prison dorée face à une telle contrainte de séparation de son son monde d'origine.
Devant l'état de Psyché, son mystérieux compagnon finit par céder : il l'autorise à recevoir ses sœurs mais lui interdit formellement de ne jamais tenter de voir ses traits, pressentant que ses sœurs l'y inciteront. On comprend ainsi l'interdiction qui fonde les autres.

L'avertissement de l'amant inconnu

(V, 5, 1) La nuit même de leur arrivée, l'époux eut avec Psyché la conversation suivante : (2) Ma Psyché, ma compagne adorée, la cruelle Fortune te prépare la plus périlleuse des épreuves. Ta prudence, crois-moi, ne saurait être trop éveillée.

L'interdiction de communiquer avec l'autre monde

(3) On te croit morte, et tes deux sœurs, affligées de ta perte, sont déjà sur ta trace. Elles vont venir au pied de ce rocher. Si leurs lamentations arrivent jusqu'à ton oreille, garde-toi de leur répondre, de leur donner même un coup d’œil. Sinon, il en résultera pour moi les plus grands chagrins, pour toi les plus grands malheurs.

La promesse de respecter l'interdiction

(4) Psyché parut se résigner, et promit obéissance.

Psyché sombre dans la dépression

Mais l'époux n'eut pas plutôt disparu avec les ténèbres, qu'elle se lamente, et toute la journée se passe en pleurs et en gémissements. (5) C'est maintenant qu'elle est perdue, puisque ces beaux lieux ne sont qu'une prison pour elle, puisque désormais, sevrée de tout commerce humain, elle ne peut rassurer ses sœurs désolées, et qu'elle n'a pas même la consolation de les voir.

La dépression

(6) Elle néglige le bain, ne prend aucune nourriture, et se refuse à toute distraction. Ses pleurs n'avaient pas cessé de couler, quand elle se retira pour se mettre au lit.

La levée de l'interdiction

(V, 6, 1) Son mari est à ses côtés plus tôt que de coutume ; et l'embrassant tout éplorée : (2) Ma Psyché, dit-il, est-ce là ce que tu m'avais promis ? Ton époux n'a-t-il rien à attendre, rien à espérer de toi ? Quoi donc ! toujours gémir, et le jour et la nuit, et jusque dans mes bras ? (3) Eh bien ! satisfais ton envie, contente un désir funeste : mais rappelle-toi mes avis, lorsque viendra (trop tard hélas !) le moment du repentir. (4) Psyché le presse, Psyché l'implore : il y va, dit-elle, de sa vie. Enfin elle l'emporte. Elle verra ses sœurs, elle pourra les consoler, s'épancher avec elles. L'époux accorde tout aux prières de la jeune épouse. (5) Il va plus loin ; il lui permet de combler à discrétion ses sœurs et d'or et de bijoux.

La révélation de l'interdiction fondamentale

(6) Mais il lui interdit à plusieurs reprises, et sous les plus terribles conséquences, de jamais chercher à voir sa figure, au cas où ses sœurs lui en donneraient le conseil pernicieux. Cette curiosité sacrilège la précipiterait du faîte du bonheur dans un abîme de calamités, et la priverait à jamais de ses embrassements.

L'amour de l'amour

(7) Psyché remercie son époux, et, dans un transport de joie : Ah ! dit-elle, plutôt cent fois mourir que de renoncer à cette union charmante ! car je t'aime, qui que tu sois ; oui, je t'aime plus que ma vie. Cupidon lui-même me paraîtrait moins aimable.

L'amour maître du vent et de l'âme

(8) Mais, de grâce, encore une faveur. Ordonne à ton familier Zéphyr d'amener mes sœurs ici, comme il m'y a transportée moi-même. (9) Elle prodigue en même temps à son époux les baisers, les mots tendres ; et l'enlaçant des plus caressantes étreintes : Doux ami, disait-elle, cher époux, âme de ma vie...

La réalisation du dessein de Vénus

(10) C'en est fait, Vénus sera vengée. L'époux cède, non sans regret ; tout est promis, et l'approche du jour le chasse encore des bras de Psyché.

On comprend ici que, par la visite annoncée des sœurs, Vénus va arriver à ses fins.

Psyché revoit ses sœurs

Ses deux sœurs retournent au rocher où l'on a abandonné Psyché dans l'espoir d'y trouver sa trace. Elles l'appellent.
Psyché répond aux appels de ses sœurs. Elle les fait transporter jusqu'à elle par le vent.
Psyché se plaît à montrer à ses sœurs combien elle vit dans le luxe, ce qui sème la jalousie dans leur cœur. Elles la questionnent sur son mari que Psyché leur décrit, mentant afin de tenir sa promesse. Pour ne pas se trahir, elle les congédie rapidement après les avoir couvertes de bijoux.
Sur le chemin du retour, les sœurs se montent progressivement contre Psyché, convoitant ses richesses, se plaignant en comparaison de leur propre sort, trouvant tous les défauts possibles à la cadette (justifiant ainsi le mérite d'une punition). En outre, elles soupçonnent la divinité du mystérieux mari et la déification prochaine de leur sœur.

Ses sœurs à la recherche de Psyché

(V, 7, 1) Les deux sœurs cependant se sont fait indiquer le rocher et la place même où Psyché a été abandonnée. Elles y courent aussitôt. Les pleurs inondent leurs yeux ; elles se frappent la poitrine, et l'écho renvoie au loin leurs lamentations. (2) Elles appellent par son nom leur sœur infortunée.

Les retrouvailles de Psyché et ses sœurs

Du haut de la montagne, leurs cris déchirants vont retentir jusqu'aux oreilles de Psyché dans le fond de la vallée. Son cœur palpite et se trouble ; elle sort éperdue de son palais. Pourquoi cette douleur et ces lamentations, s'écria-t-elle ? La voilà celle que vous pleurez ; (3) cessez de gémir, séchez vos pleurs. Il ne tient qu'à vous d'embrasser celle qui les cause. (4) Alors elle appelle Zéphyr, et lui transmet l'ordre de son époux. Aussitôt, serviteur empressé, Zéphyr, d'un souffle presque insensible, enlève les deux sœurs, et les transporte auprès de Psyché. (5) On s'embrasse avec transport, mille baisers impatients se donnent et se rendent. Aux larmes de la douleur succèdent les larmes que fait couler la joie. (6) Allons, dit-elle, entrons dans ma demeure : plus de chagrin ; il faut se réjouir, puisque votre Psyché est retrouvée.

Psyché accueille ses sœurs avec (trop de) faste

Le regard terrestre sur les richesses célestes

(V, 8, 1) Elle dit, et se plaît à étaler à leurs yeux les splendeurs de son palais d'or, à leur faire entendre ce peuple de voix dont elle est obéie. Un bain somptueux leur est offert, puis un banquet qui passe en délices tout ce dont l'humaine sensualité peut se faire idée. (2) Si bien que, tout en savourant à longs traits l'enivrement de cette hospitalité surnaturelle, les deux soeurs commencent à sentir la jalousie qui germe au fond de leurs jeunes cœurs.

La curiosité humaine s'introduit au paradis

(3) L'une d'elles à la fin presse Psyché, et ne tarit pas de questions sur le possesseur de tant de merveilles. Qui est ton mari ? Comment est-il fait ?

La promesse tenue au prix du mensonge

(4) Fidèle à l'injonction conjugale, celle-ci se garde bien de manquer au secret promis. Une fiction la tire d'affaire. Son mari est un beau jeune homme, dont le menton se voile d'un duvet encore doux au toucher. La chasse est son occupation habituelle ; il est toujours par monts et par vaux. (5) Et, pour couper court à une conversation où sa discrétion pourrait à la longue se trahir, elle charge ses deux sœurs d'or et de bijoux, appelle Zéphyr, et lui enjoint de les reconduire où il les a prises. Aussitôt dit, aussitôt fait.

La convoitise

(V, 9, 1) Et voilà ces deux bonnes sœurs qui, tout en s'en retournant, le cœur rongé déjà du poison de l'envie, se communiquent leurs aigres remarques. L'une enfin éclate en ces termes : (2) Voilà de tes traits, ô cruelle Fortune ! Injuste, aveugle déesse ! nées de même père et de même mère, se peut-il que ton caprice nous fasse une condition si différente ? (3) Nous, ses aînées, on nous marie à des étrangers, ou plutôt on nous met à leur service ; on nous arrache au foyer, au sol paternel, pour nous envoyer vivre en exil, loin des auteurs de nos jours ; (4) et cette cadette, arrière-fruit d'une fécondité épuisée, nage dans l'opulence, et elle a un dieu pour mari ; elle, qui ne sait pas même user convenablement d'une telle fortune ! (5) Vous avez vu, ma sœur, comme les joyaux (et quels joyaux !) font partout litière en sa demeure. Des étoffes d'une beauté ! des pierreries d'un éclat ! de l'or partout !

La divinité de Psyché (détachée des choses terrestres)

(6) Et s'il est vrai que son époux soit aussi beau qu'elle s'en vante, existe-t-il une plus heureuse femme au monde ? Vous verrez que l'attachement de cet époux-dieu, fortifié par l'habitude, ira jusqu'à faire de cette créature une déesse ! Et certes tout l'annonce : ces airs, cette tenue.... (7) On aspire au ciel ; on ne tient plus à la terre, quand déjà l'on a des voix pour vous servir, quand les vents vous obéissent.

Les sœurs prennent conscience de leur triste sort

(8) Et quel est mon lot à moi ? Un mari plus vieux que mon père, chauve comme une citrouille, le plus petit des nabots et qui cache tout, tient tout sous la clef. (V, 10, 1) Moi, reprit l'autre, j'ai sur les bras un mari goutteux, perclus et tout courbé, qui n'a garde de faire souvent fête à mes charmes. (2) Je n'ai d'autre soin, pour ainsi dire, que de frictionner ses doigts tors et paralysés. Et mes mains, ces mains délicates que vous voyez, se gercent à force de manipuler des liniments infects, de dégoûtantes compresses et de fétides cataplasmes. Est-ce là le rôle d'épouse, ou le métier de garde-malade ? (3) Enfin, voyez, ma soeur, jusqu'où il vous convient de pousser la longanimité ou la bassesse ; car il faut parler net.

Les défauts (supposés ou constatés) de la personne enviée

Quant à moi, je ne puis tenir à voir un si haut bonheur tombé en de pareilles mains. (4) Vous rappelez-vous sa morgue, son arrogance, et quel orgueil perçait dans cette superbe ostentation de toutes ses richesses ? (5) et comme elle nous en a jeté, comme à regret, quelques bribes ? et comme elle s'est débarrassée de nous ? comme, sur un mot d'elle, on nous a mises ou plutôt soufflées dehors ?

Le complot contre Psyché et le plan d'assassinat d’Éros

Ainsi remontées contre Psyché, ses sœurs décident de ne pas révéler à leurs parents qu'elles l'ont retrouvée et promettent de revenir la punir de son orgueil. Notons qu'elles vont ainsi devenir l'instrument de l'exécution de l'ordre de Vénus que Cupidon a refusé d'être.
Le mystérieux amant de Psyché la met à nouveau en garde contre ses sœurs qui vont tenter de lui faire découvrir le secret de ses traits. Il insiste sur l'importance de ce secret. Malgré tout, Psyché le convaincra une nouvelle fois de la laisser voir ses sœurs. On apprend qu'elle attend un enfant.
Psyché reçoit à nouveau ses sœurs. Cherchant toujours à tenir sa promesse, elle se trahit néanmoins par un mensonge sur l'aspect physique de son compagnon qu'elle décrit différemment qu'elle ne l'avait fait lors de la première visite.
À nouveau sur le chemin de leur retour, les sœurs confirment leur intention de sortir Psyché de son bonheur. Elles ont saisi la nature divine du mystérieux inconnu.
Au cours d'une nouvelle visite, les sœurs parviennent à faire avouer Psyché qu'elle na jamais vu les traits de celui avec qui elle partage sa vie. Elles la persuadent qu'il s'agit d'un monstre qui va la dévorer et la conduisent à préméditer son élimination.
Tandis que ses sœurs qui lui ont promis leur soutien, s'enfuient, Psyché s'apprête, suivant le plan qu'elles lui ont dicté, à éliminer le monstre qui partage son lit.

De la colère au complot

(6) Oh ! j'y perdrai mon sexe et la vie, ou je la précipiterai de ce trône de splendeur. Tenez, l'insulte nous est commune ; et si vous la sentez comme moi, prenons ensemble un grand parti. (7) D'abord, ne montrons à nos parents, ni à personne, les jolis cadeaux que nous portons là. Il y a mieux ; ne disons mot de ce que nous savons d'elle. (8) C'est bien assez de mortification de l'avoir vu, sans l'aller conter à nos parents et proclamer par toute la terre. Richesse ignorée n'est pas contentement. (9) Faisons-lui voir que nous sommes ses aînées, et non ses servantes. En attendant, allons revoir nos maris et nos ménages : s'ils sont pauvres, ils sont simples du moins. Nous méditerons notre vengeance à loisir, et nous reviendrons bien en mesure de punir cette orgueilleuse. (V, 11, 1) L'odieux pacte fut bientôt conclu entre ces deux perverses créatures. Elles cachent d'abord leurs riches présents ; et, s'arrachant les cheveux, se déchirant le visage, (traitement, du reste, trop mérité), les voilà qui se lamentent sur nouveaux frais, mais cette fois par simagrée. (2) Quand elles ont réussi à rouvrir les plaies de leurs parents infortunés, elles les quittent brusquement, et regagnent leurs demeures ; et là, gonflées de rage au point que la tête leur en tourne, elles ourdissent contre leur sœur innocente un détestable, disons mieux, un parricide complot.

L'imporance du regard interdit

(3) Cependant le mystérieux époux de Psyché continue ses admonitions nocturnes. Tu le vois, disait-il, la Fortune déjà escarmouche de loin contre toi, et va bientôt, si tu ne te tiens ferme sur tes gardes, engager le combat corps à corps. (4) Deux monstres féminins ont mis en commun, pour te perdre, leur infernal génie. Leur plan est de t'amener à surprendre le secret de ma figure. Or, je te l'ai dit souvent, tu ne la verras que pour ne plus la revoir. (5) Si donc ces infâmes mégères revenaient armées de perfides desseins (elles reviendront, je le sais), point d'entretien avec elles ; ou si c'est trop exiger de ce cœur si simple et si bon, du moins sur ce qui me touche n'écoute rien, ne réponds rien.

Attente d'un enfant soit humain soit divin

(6) Nous allons voir s'augmenter notre famille. Enfant toi-même, tu portes un enfant dans ton sein, enfant qui sera dieu si tu respectes mon secret, simple mortel, si tu le profanes.

(V, 12, 1) Grande joie de Psyché à cette nouvelle. Une progéniture divine ! un si glorieux gage de leur union ! Et ce respectable nom de mère ! (2) Dans son impatience, elle compte les jours et récapitule les mois. Elle suit avec surprise l'incompréhensible progrès de ce petit ventre qui s'arrondit ; effet prodigieux d'une si légère piqûre.

Nouvel avertissement d'Éros

(3) Cependant les deux abominables Furies dont la bouche distille le poison, pressaient déjà leur retour avec l'impatience du crime. Nouvelle visite, nouvel avertissement de l'époux. (4) Ma Psyché, voici le jour décisif ; nous touchons à la crise. Ton propre sexe, ton propre sang est armé contre toi. L'ennemi est en marche, il a pris position ; le signal est donné. Déjà tes affreuses sœurs ont le poignard levé sur toi. (5) O ma Psyché ! quelles calamités nous menacent ! Aie pitié de toi, aie pitié de nous, et que ta discrétion inviolable conjure la ruine de ta maison, de ton mari, la tienne, celle de notre enfant. (6) Ces femmes, qu'une haine homicide, et les droits du sang foulés aux pieds, ne te permettent plus d'appeler tes sœurs, ces sirènes vont se remontrer sur la montagne, et envoyer à l'écho des rochers leur appel perfide. Ne les reçois pas, ne les écoute pas.

Nouvelle autorisation de voir ses sœurs

(V, 13, 1) Psyché répond, d'une voix entrecoupée par les sanglots et les larmes : Je vous ai montré, je pense, que je tiens ma parole et que je sais me taire ; laissez-moi vous prouver maintenant que ma persévérance n'est pas moindre que ma discré tion. (2) Ordonnez seulement à notre Zéphyr de me prêter encore son ministère ; et, ne pouvant jouir de votre divine image, que j'aie du moins la consolation de voir mes soeurs. (3) Je vous en conjure par les boucles flottantes et parfumées de votre chevelure, par ces joues charmantes, non moins délicates que les miennes ; par cette poitrine qui brûle de je ne sais quelle mystérieuse chaleur. Un jour les traits de cet enfant me révéleront ceux de son père ; mais qu'aujourd'hui j'obtienne de vous d'embrasser mes soeurs. (4) Accordez cette faveur à mes instances, et comblez d'une douce joie le cœur de cette Psyché aussi dévouée qu'elle vous est chère. (5) Désormais je ne vous parle plus de votre visage : les ténèbres n'ont plus rien qui m'importune ; vous êtes ma lumière, à moi. (6) Elle dit, et en même temps lui prodigue les plus douces caresses. Le charme opère. L'époux, de ses propres cheveux, essuie les larmes de sa Psyché, et s'évanouit encore de ses bras, avant que le jour n'ait paru.

Nouvelle visite des sœurs au palais de l'Amour

(V, 14, 1) À peine débarqué, le couple conspirateur, sans visiter père ni mère, va droit au rocher, en franchit la hauteur d'une traite ; et toutes deux, au hasard de ne pas trouver de vent pour les porter, se lancent aveuglément dans l'espace : (2) mais Zéphyr est là, prêt à exécuter, bien qu'à contrecœur, les ordres de son maître. Son souffle les reçoit, et les dépose mollement sur le sol de la vallée. (3) Aussitôt elles précipitent leurs pas vers le palais. Elles embrassent déjà leur proie, et la saluent effrontément du nom de sœur ; elles l'accablent de cajoleries :

Soupçon sur la paternité divine de l'enfant attendu

(4) Psyché n'est pas une petite fille à cette heure ; la voilà bientôt mère. Sais-tu ce que nous promet cette jolie petite rotondité ? Quelle joie pour notre famille ! (5) Oh ! que nous allons être heureuses de choyer ce petit trésor ! Si (ce que nous ne pouvons manquer de voir) sa beauté répond à celle des auteurs de ses jours, ce sera un vrai Cupidon.

Les sœurs toujours (trop) bien traitées

(V, 15, 1) Enfin elles jouent si bien la tendresse, qu'insensiblement le cœur de Psyché se laisse prendre à la séduction. Elle les fait asseoir, pour reposer leurs jambes de la fatigue du voyage. Puis, la vapeur d'un bain chaud ayant achevé de les remettre, elle leur fait servir sur une table magnifique les mets les plus recherchés et les plus exquis. (2) Psyché veut un air de lyre, et les cordes vibrent ; un air de flûte, et la flûte module ; un chœur de voix, et les voix de chanter en partie. Aucun musicien n'a paru, et les oreilles sont charmées par la plus suave harmonie : (3) mais l'âme des deux mégères est à l'épreuve des attendrissements de la musique, et elles n'en songent pas moins à enlacer leur sœur dans leurs traîtres filets.

Mensonge trahi de Psyché

Avec une indifférence apparente, elles lui demandent quel air a son mari ? quelle est son origine et sa famille ? (4) La pauvre Psyché avait oublié sa réponse précédente ; elle fit un nouveau conte. Son mari était d'une province voisine ; il faisait valoir par le négoce un capital considérable ; c'était un homme de moyen âge, et dont les cheveux commençaient à grisonner. (5) Là-dessus, coupant court à toute information, elle les comble de nouveau des plus riches présents, et leur fait reprendre leur route aérienne.

Nouvelles conspirations des sœurs au cours de leur retour

(V, 16, 1) Tandis que la douce haleine de Zéphyr les voiturait vers leurs demeures, les deux soeurs s'entretenaient ainsi, tout en cheminant par les airs : Eh bien ! ma soeur, cette imprudente nous a-t-elle débité d'assez grossiers mensonges ? (2) L'autre jour, c'était un adolescent, dont un poil follet ombrageait à peine le menton ; maintenant c'est un mari sur le retour, et qui déjà grisonne : conçoit-on qu'un homme change ainsi à vue d'œil, et vieillisse si lestement ? (3) Tenez, ma sœur il n'y a que deux manières d'expliquer cette contradiction : ou l'effrontée se joue de nous, ou elle n'a jamais vu son mari en face. Quoi qu'il en soit, il faut l'expulser de cette position splendide.

Déduction par ses sœurs de la divinité du mari de Psyché

(4) Si elle n'a jamais vu les traits de son époux, c'est qu'elle a pour époux un dieu, et c'est un dieu qu'elle va mettre au jour. Or, avant qu'elle entende (ce qu'aux dieux ne plaise !) un enfant divin l'appeler sa mère, j'irai me pendre de mes propres mains. (5) Allons, avant tout, voir nos parents ; et pour nous préparer au langage que nous devons tenir à Psyché, faisons-leur quelque bon conte dans le même sens.

Les sœurs reviennent voir Psyché

(V, 17, 1) Là-dessus, leurs têtes se montent, elles brusquent sans façon leur visite au manoir paternel : s'en retournant au plus vite et encore exaspérées par une nuit de trouble et d'insomnie, dès le matin elles revolent au rocher, et en descendent, comme à l'ordinaire, sur l'aile du vent. Les hypocrites se frottent les yeux pour y faire venir des larmes, et voici quelles insidieuses paroles elles adressent à Psyché :

Les sœurs convainquent Psyché de la monstruosité de son mari

(2) Tu t'endors, mon enfant, dans une douce quiétude, heureuse de ton ignorance et sans te douter du sort affreux qui te menace, tandis que notre sollicitude, éveillée sur tes périls, est pour nous un tourment de toutes les heures. (3) Écoute ce que nous avons appris de science certaine, et ce que notre vive sympathie ne nous permet pas de te celer. Un horrible serpent dont le corps se recourbe en innombrables replis, dont le cou est gonflé d'un sang venimeux, dont la gueule s'ouvre comme un gouffre immense, voilà l'époux qui chaque nuit vient furtivement partager ta couche. (4) Rappelle-toi l'oracle de la Pythie, ce fatal arrêt qui te livre aux embrassements d'un monstre. Il y a plus : nombre de témoins, paysans, chasseurs ou bourgeois de ce voisinage, l'ont vu le soir revenir de la pâture, et traverser le fleuve à la nage.

(V, 18, 1) Personne ne doute qu'il ne te tienne ici comme en mue, au milieu de toutes ces délices, et qu'il n'attende seulement, pour te dévorer, que ta grossesse plus avancée lui offre une chère plus copieuse. (2) C'est à toi de voir si tu veux écouter des sœurs tremblantes pour une sœur qu'elles aiment, et si tu n'aimes pas mieux vivre tranquillement au milieu de nous, que d'avoir les entrailles d'un monstre dévorant pour sépulture. (3) Trouves-tu plus de charmes dans cette solitude peuplée de voix, dans ces amours clandestins, dans ces caresses nauséabondes et empoisonnées, dans cet accouplement avec un reptile ? Soit. Du moins nous aurons fait notre devoir en bonnes sœurs.

Psyché, effrayée par les révélations de ses sœurs, livre le secret du regard interdit

(4) La pauvre Psyché, dans sa candide inexpérience, reçut comme un coup de foudre cette formidable révélation. Sa tête s'égara ; tout fut oublié, les avertissements de son mari, ses propres promesses ; (5) et elle alla donner tête baissée dans l'abîme ouvert sous ses pas. Ses genoux fléchissent, la pâleur de la mort couvre son visage, et ses lèvres tremblantes livrent à peine passage à ces mots entrecoupés :

(V, 19, 1) Chères sœurs, je n'attendais pas moins de votre affection si tendre. Oui, je ne vois que trop de vraisemblance dans les rapports que l'on vous a faits. (2) Effectivement je n'ai jamais vu mon époux ; je ne sais d'où il vient ; sa voix ne se fait entendre que la nuit ; il ne me parle qu'à l'oreille ; il fuit soigneusement toute lumière. C'est quelque monstre, dites-vous ? je n'hésite pas à le croire ; (3) car il n'est peur qu'il ne me fasse de sa figure et des terribles conséquences de ma curiosité, au cas où je chercherais à le voir. (4) Si votre assistance peut conjurer un tel danger, ah ! ne me la refusez pas. Que sert de protéger, si l'on ne protège jusqu'au bout ?

Le plan des sœurs pour éliminer le dangereux mari

(5) Les deux scélérates voient la brèche ouverte. Elles démasquent alors leur attaque, se ruent sur le corps de la place, et exploitent à force ouverte les terreurs de la simple Psyché. (V, 20, 1) L'une d'elles lui parle ainsi : Il s'agit de te sauver. Les liens du sang nous obligent à fermer les yeux sur nos propres périls. Un seul moyen se présente ; nous l'avons longtemps médité. (2) Écoute ; prends un poignard bien aiguisé, donne-lui le fil encore, en passant doucement la lame sur la paume de ta main ; puis va le cacher soigneusement dans ton lit, du côté où tu te couches d'ordinaire. Munis-toi également d'une petite lampe bien fournie, afin qu'elle jette plus de lumière. Tu trouveras bien moyen de la placer inaperçue derrière le rideau. (3) Tout cela dans le plus grand secret. Il ne tardera pas à venir, traînant sur le plancher son corps sinueux, prendre au lit sa place accoutumée. Attends qu'il soit étendu tout de son long, et que tu l'entendes respirer pesamment, comme il arrive dans l'engourdissement du premier sommeil : (4) alors glisse-toi hors du lit, et va, sans chaussure, à petits pas, et sur la pointe du pied, tirer ta lampe de sa cachette. Sa lueur te servira à bien prendre tes mesures pour mettre à fin la généreuse entreprise. (5) Saisis alors l'arme à deux tranchants, lève hardiment le bras, frappe le monstre sans hésiter à la jointure du cou et de la tête, et tu feras de son corps deux tronçons. (6) Notre assistance ne te manquera pas. Aussitôt que par sa mort tu auras opéré ta délivrance, nous serons à tes côtés. Nous t'emmènerons avec nous, sans oublier toutes ces richesses, et, par un hymen de ton choix, nous t'unirons, toi créature humaine, à un être qui soit de l'humanité.

Fuite des deux sœurs laissant Psyché exécuter seule le plan

(V, 21, 1) Quand elles crurent avoir assez attisé le feu dans le cœur de Psyché par ce langage incendiaire, elles se hâtent de s'esquiver, redoutant fort pour leurs personnes la proximité du théâtre de la catastrophe. (2) Elles font, comme à l'ordinaire, l'ascension du rocher sur les ailes du vent. Puis, courant à toutes jambes vers leur vaisseau, elles s'embarquent, et quittent le pays.

Les hésitations de Psyché

(3) Psyché reste livrée à elle-même, c'est-à-dire obsédée par les Furies. Le trouble de son cœur est celui d'une mer orageuse. Son dessein est arrêté, elle s'y obstine ; et ses mains déjà s'occupent des sinistres préparatifs, que son âme doute et flotte encore. Les émotions s'y combattent : (4) Tour à tour elle veut et ne veut pas, menace et tremble, s'emporte et mollit. Pour tout dire en un mot, dans le même individu elle déteste un monstre, elle adore un époux. Cependant le soir est venu ; la nuit va suivre. Elle s'occupe à la hâte des préliminaires du forfait.

Passage à l'acte de Psyché

(V, 21, 5) Il est nuit. L'époux est à son poste. Il livre un premier combat, prélude de sa campagne nocturne, puis s'endort d'un sommeil profond.

(V, 22, 1) La force abandonne alors Psyché ; le cœur lui manque. Mais le sort a prononcé, le sort est impitoyable, son énergie revient. Elle avance la lampe, saisit son poignard. Adieu la timidité de son sexe.

Suite

Analyse 3