Catégorie:Cent titres-Chap.01 : Différence entre versions

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En cette fin d’après midi de 1548, le soleil poudre d’or les champs, allonge les ombres et modère enfin sa morsure. Le bleu du ciel chauffé à blanc reprend des teintes plus vives. Un vent léger, fort bienvenu, agite les feuilles. Il a fait anormalement chaud pour un 22 mai. Le silence règne en maitre. Bêtes et gens, se terrent, cherchant la fraicheur qui apaiserait ces souffles brulants exhalés par le sol. Dans ce paysage immobile, je suis le seul point en mouvement. Brise ma jument alezane est aussi poussiéreuse que moi, elle a depuis longtemps ralenti son allure, et son pas sonne de plus en plus las, accordé à ma torpeur. Brusquement, elle tire sur ses rennes, et oblique vers le petit bois sur la gauche. Comme elle, tout à coup je le reconnais. Sous le couvert se dessine une sente à peine visible, envahie d’herbes folles. Dans quelques minutes, on entendra le murmure de l’eau .Le petit lac qu’alimente un ruisseau malingre, s’épanouit dans la clairière. Brise, s’y jette jusqu’aux jarrets, boit à long traits. En deux temps trois mouvements, mes vêtements sont à terre, et je nage, flotte, remue avec délices mes doigts de pieds libérés des pesantes bottes. L’odeur de la menthe sauvage et des iris d’eau, tire à moi ce poème de Ronsard que j’avais mis en musique un soir de mélancolie de chagrin et de détresse….. Mignonne allons voir….oubliée la suite, voyons, la rose ? L’œillet ? Une fleur, dans mon cas la plus adaptée serait souci. Bah ! Les yeux dans les frondaisons, le corps léger et rafraichi, pourquoi ruminer. Ne suis-je pas au Paradis ! Celui de Dieu, ses Saints et ses Anges, ou, celui des Elfes, des Lutins, des Fées ? Qu’elle importance ! Le temps est fugitif, et ce que l’on ne goûte pas à l’instant, est perdu à jamais. Alors ! Point de gémissements, me voilà de retour chez moi, même si mon cœur n’est pas gonflé du bonheur, de la joie que j’avais imaginée. Un bruit de branches cassées, une exclamation réprimée, une respiration suspendue, en lisière du bois, à l’abri du feuillage….. Un jeune homme, roux et bien découplé, tient une canne à pèche à la main et me regarde, stupéfait, nager nu et blanc comme un ver. De saisissement, il s’est perché immobile, tel un héron, sur un seul pied. Nous avons changé. Quatre années, nous séparent de notre dernière rencontre, mes cheveux noirs se tordent autour de ma tête comme des serpents, mon collier de barbe est dru et mal soigné, ma bouche est devenue plus sensuelle sous mon nez toujours aussi long, un éclat d’or brille à mon oreille. Il jaillit de l’ombre et aboi mon prénom d’une voix rauque de surprise : Ardan, Ardan et ajoute en bredouillant, Ardan de Lestonnac ! Sidéré et confondu, comme s’il s’était trouvé nez à nez avec un faune sylvestre. Eh bien, Felix de Crépy ! Dis-je avec une emphase narquoise. Je vois, que ta passion te fait battre la campagne. Tu semble avoir un peu forci, grandi ! Qui sait, tu es peut être à présent un homme accompli ? Qu’as-tu à rire ? Dieu merci ! Tu as toujours tes cheveux roux, le même buisson ardent. Es- tu fils de Diable ou fils de Dieu ? As-tu choisi ? Je l’apostrophe, avec une nonchalance feinte, à deux mètres du bord. Il est soupe au lait et ……notre ancien défi enfantin me revient en mémoire. C’est Félix de Crépy tout déconfit, que je défi pour qu’il soit rouge de dépit. Hi, hi hi. Sacrebleu ! Je ne suis plus le freluquet que j’étais à ton départ ! Cette fois ci ….. Il me rejoint. On se place côte à côte, tendus, tout à coup sérieux. Je cri feu, et je fonce de toutes mes forces. Je me sens puissant, efficace, et me rends compte que Félix, a gagné en aisance, qu’une très faible distance nous sépare. Je vais avoir du mal à atteindre le rocher plat qui est notre but. Derrière moi, il gagne du terrain. Je jure intérieurement, m’arrache les tripes et touche le premier la pierre mousseuse. Je l’ai devancé d’une toute petite seconde. Son regard est encore plein de hargne et de colère. On se hisse à plat dos, épuisés, on éclate de rire. Le soleil lèche doucement notre peau, des vaguelettes émeraude chuintent en battant notre frêle esquif. On est si jeunes tout à coup. Rien ne semble changé dans la nature de notre enfance, intact le silence, le calme, la profonde quiétude. Le temps suspendu de la clairière, du lac, de la forêt, reste miraculeux de beauté, d’harmonie, d’équilibre. Pourtant la séparation, nous a rendus différent, chacun pour soi, chacun sa voie. Nous avons renoue, dans un élan de spontanéité, mais allongés nus et secs, dans le ressac paisible de nos respirations, la distance nous rattrape et je ne sais plus très bien, si notre ancienne amitié existe encore. Je suis intimidé, gauche, je sens que Félix me regarde à la dérobée, et cela accroit mon malaise. Il jauge mon corps. Je n’ai pas à en rougir, il a été un serviteur honnête. Ma musculature s’est développée, allongée, elle est puissante, sans la moindre graisse, qui l’eu cru ! Ce sont là les fruits de mes pérégrinations, et mon sexe, est tout à fait convenable. Il peut rivaliser avec le sien, qui était énorme sur un corps malingre à mon départ et reste imposant. Mon ancienne et secrète jalousie s’apaise. Je roule sur lui dans un élan frétillant de jeune chiot, l’embrasse dans le cou, et saute sur mes pieds pour fuir ses représailles. Il a toujours détesté cela. Piqué au vif par ce baiser, il, se campe sur ses jambes, montre les dents et poing en avant, me mesure du regard prêt à se battre. Je fais face. Deux longues secondes passent. Le fou rire nous gagne simultanément. On se jette dans les bras l’un de l’autre avec de grandes claques sur le dos, les épaules les fesses, brusquement complices, ce dont en traitre Félix profite, il me déséquilibre d’un croche pied, mais je m’agrippe à lui et nous tombons gaiement dans l’eau. Revenus sur la berge, le ventre dans l’herbe douce, une graminée aux lèvres, Félix cède à sa curiosité, non sans m’avoir grondé comme un galopin, pour n’avoir pas annoncé mon retour des Nouvelles Indes. Je n’ai prévenu quiconque, de la date exacte de mon arrivée. Je ne sais trop comment mes parents vont m’accueillir, autant les surprendre .Peut être tuerons t ils le veau gras ! Décidément, tu ne changes pas ! Ton départ, les a totalement abasourdis, ton retour, va les bouleverser. Mais bon Dieu ! Parle-moi des Indes Occidentales, de la Nouvelle France ! On m’a dit que les sau sauvages de ces contrées, sont sanguinaires, habillés de plumes, qu’ils aiment la chair de bon chrétien, que leurs femmes sont laides comme les sept péchés capitaux. Plus tôt capiteux. L’or pave t il leurs cités ! Leurs palais sont ils couverts de pierreries ? Aboient-ils plutôt qu’ils ne parlent ? Les parfums, les épices, les perles, as-tu rapporté tout cela ? La terre est elle plate ? Ronde ? Les Espagnols, les Portugais, sont ils aussi bons marins que l’on dit ? Sont ils fanatiques, paillards, vénaux ? Quatre années, quatre années et te voilà ! Quel bonheur ce retour ! Combien de fois t’avons-nous confié à la Sainte Garde de Dieu le Père, à notre Bonne Mère ! On craignait pour toi le gros temps, les tempêtes, la soif, les fièvres, les eaux corrompues, bref une mort atroce loin de nous. Arrête, arrête, Félix, respire, reprend ton souffle. Oui, j’ai eu des moments terribles, et te remercie, d’avoir demandé l’aide du Ciel, tient, j’ai voulu te rapporter un perroquet. C’est un volatile à peu près gros comme une oie, il avait un plumage excellent, parlait comme un homme .La faim nous tenait. Je l’ai caché cinq à six jours, pris entre la famine et la peur que l’on vienne me le dérober la nuit, puis, je me suis résolu à le sacrifier, et l’on a tout dévoré, ses tripes, ses pattes, ses ongles, son bec crochu, sauf ses plumes, dont je te remettrais quelques unes . Cela nous a permis de vivoter quelques jours de plus et par une chance inouïe, nous avons vu la terre. Je regrette encore de l’avoir tué. Il était un joyeux et magnifique compagnon. Quand aux Espagnols, et aux Portugais, chaque fois que nous en avons vu, et bien, ils ont tâtés de nos couleuvrines et de nos mousquets. Une fois, nous avons arraisonné une caravelle espagnole, belle prise, chargée de sel blanc, de vin, et avec cela une poule dodue, qui quelque soit le temps pondait chaque jour nos œufs frais. Nous avons mis les survivants dans une barque, avec un peu de biscuit. Leur voile déchirée, les ont empêché de nous suivre. Qu’elle barbarie !et l’or ! Tu étais parti pour l’or, l’argent, l’aventure ! Oui, le Rêve et l’Or, ont conduit mon périple. Te souviens-tu, je me suis enfui à la suite de ce récit de voyage, que nous avons entendu à la Rochelle. On nous avait narré la découverte de Jean Cousin et de Paulmier de Gonneville. Eh bien, j’ai respiré de près mes songes. Ces pays sont un Paradis, mais un Paradis taché du sang des marins venus y chercher des bois précieux. Les Français sont les plus habiles. Courtois avec l’indigène, ils sont appréciés des belles indiennes, qui, imagine cela, sont uniquement vêtues de leurs chevelures. Nos hommes se montrent si polis, si aimables, que cela les sauve, car ces autochtones mangent de la chair humaine, et, bien des Portugais, ne sont plus là pour en témoigner. Ces derniers, sont de sac et de corde, peu aimés car cruels et violents. Sur terre, sur mer, ils se livrent à des pirateries sans fin. Ces espaces vierges sont fertiles, immenses, leur climat chaud et humide. Tout y pousse en abondance. Il y existe de nombreuses plantes inconnues de nous .Quant à l’Or, je n’en ai point trouvé. Je reviens pauvre comme Job, simplement riche de souvenirs et d’expériences. J’ai ma jeunesse, et sait que ce monde neuf est à prendre. Raconte ! Raconte ! Ces êtres là –bas, ont- ils des yeux, des jambes, des bras, tout comme nous ? Croient- ils en Dieu, au Christ, aux Apôtres, à l’Eucharistie et à notre Sainte Messe ? Ont-ils des chiens de chasse ? Mangent- ils des araignées ? Oublie ces sornettes, qui donc te farci la tête de pareilles sottises ? J’ai rencontré les Topinambou, dans le lointain Brésil, c’est un autre monde. Si, tu veux te représenter un sauvage d’Amérique, imagine, un homme nu, bien proportionné, aux membres superbes, tout le poil arraché, à l’exception d’une couronne de cheveux, assez semblable, à celle de nos moines. Le sommet du crane est tondu de fort près. Les lèvres et les joues sont fendues, il y enchâsse des os ou des pierres vertes. Il a des pendants d’oreille. Son buste est peinturluré de rouge, ses jambes sont noircies, à son cou de multiples colliers. Il souffle dans une grosse coquille de mer. Comme, il aime les plumes à la folie, il, s’en couvre le chef. Sur son corps, il colle du duvet peint en rouge avec une sorte d’empois qui suinte d’un de leur arbre. Les femmes, je te le redis, sont belles et nues. Parfois, elles attachent leur chevelure par un cordon rouge, souvent, elles peignent leur corps entier. Elles se lavent fréquemment, s’accroupissant à chaque ruisseau, se versant de l’eau sur la tête. Elles forment un très joli tableau, et rient constamment. Les enfants sont des princes et gambadent partout. Chez, les Topinambou, l’hôte étranger, est sacré. Il repose sur un lit de coton, accroché entre deux arbres, on lui porte à manger, avec cérémonial. Les femmes autour de lui, se lamentent sur la mauvaise qualité de leur offre et débitent mille louanges. Le visiteur doit répondre de même, par des pleurs, des flatteries, des soupirs, des grimaces. Cela dure durant toute la collation, puis le maitre de maison, feint de s’apercevoir de sa présence, et engage la conversation. En premier, il le questionne sur les marchandises apportées, leur natures, leurs formes, leurs couleurs. Il en demande la description précise, puis se les fait montrer. On troque des petits couteaux, hameçons, alènes, peignes, colliers, vêtements, contre leur poisson, farine, navets, oranges, citrons, ainsi que des paons sauvages, des chapons, toutes sortes d’animaux. Le négoce terminé, un repas est servi. On s’allonge sur un lit blanc entouré de petits feux qui éloignent les moustiques et l’humidité. Ensuite en remerciement, on se doit de distribuer, ciseaux, couteux, pinces à épiler pour les hommes, miroirs et peignes pour les femmes, aux enfants, hameçons et toupies. Après cela, la soirée se passe à boire du caouin, une boisson confectionné par les seules femmes avec des racines d’aypi et de manioc. Tu vois, malgré, les apparences, ils diffèrent peu de nous. Leur vie est réglée, policée, gracieuse et calme. Cependant le Malin, a noirci de son empreinte une part de leur âme. Ils ont une pratique terrible et inquiétante, le boucanage, qui permet de conserver le poisson, et la venaison, mais aussi jambes et cuisses humaines. Ils ne gardent jamais de prisonniers de guerre. Avant leur mort, ils les traitent au mieux, pour que leur chair soit savoureuse. Ils les engraissent, leur offre les femmes non mariées de leur choix. Le jour de leur mort est une fête, on y convie les allies des villages voisins. Ils dansent, boivent. Les condamnés eux même, participent aux réjouissances, se vantant bien haut, d’avoir boucané et mangé des parents, des amis de leurs geôliers. On les promène en triomphe, puis on les assomme, et les tue, avec une grande épée de bois, tenue par un officiant, en grand apparat de plumes. Les vieilles et les maitres, les traitent comme boucher un cochon. Quand ils sont bien cuits, les convives les dévorent, tout entier, mis à part la cervelle, et la tête qu’ils réduisent. Les os deviennent des fifres, des flèches, avec les dents ils font des colliers. Si tu n’es pas leur ennemi, ils sont pacifiques et charmants, font preuve d’une gentillesse extrême et tu peux te promener en toute sécurité, sans crainte aucune. Mais quelle horreur ! Nos missionnaires, ne travaillent –ils pas à convertir ces âmes païennes ?
 
  
Bien sur ! Mais ils sont peu nombreux, et leurs méthodes  souvent expéditives et brutales font fuir les populations. Ils se font aussi massacrer. La croix et les armes, voilà qui résume, ce que j’ai vu. Cela me laisse un singulier malaise au fond du cœur, je m’étais fait de la religion, une vision plus douce. Revenir, me soulage  de ces visions infernales.
 
 
Et l’Or ! Cet Or tant désiré ! La nature l’offre –t- elle, aux seuls Espagnols, qui le gardent jalousement ? Oui, c’est eux qui le conquière, aidés par la chance et leur rage. Depuis plus de trois années, les mines d’argent du Potosi se sont mises de la partie. Tout ce métal va déferler sur nous, je ne sais comment nous allons résister à la corruption. Les caravelles Espagnoles que nous avons prises, étaient emplies de nos blés, de nos toiles, draps, pastels, papiers, livres, menuiseries, vins, safran, et surtout de notre sel pour le trafic des poissons. Nous vendons tout contre bons deniers comptant, je crains l’esprit de lucre. Voyons, c’est très bien que leur or, leur argent, remplisse nos coffres, pare nos femmes, embellisse nos maisons, établisse nos enfants, fasse la gloire de nos provinces ! Nous, Français laborieux, avons depuis un siècle défriché le pays, bâti des villes, peuplé nos villages, multiplié nos cultures, avantagé nos vignerons, laboureurs, charpentiers, maçons, tailleurs, celliers, bourreliers, bref tout un chacun. Tous font merveille, alors, que notre industrie, nous fasse prendre leur or à ces mal embouches paresseux, qui ne connaissent que les armes et les trafics en tout genre, je n’y vois aucun mal. Nous serons pour eux des sauterelles affamées. Au cours de mes voyages, j’ai vu une chose fort commode, ce sont, je crois les Italiens qui l’ont inventée. Tu mets de l’argent dans une banque, elle te donne un papier, qui se nomme lettre de change, et tu peux obtenir la somme inscrite dans n’importe qu’elle autre banque. Par Dieu ! Nous allons faire la nique aux voleurs de grands chemins. Tout juste. Notre Roi Henri, s’est préoccupé de cela quand il était Dauphin, et grâce au taux d’usure, l’argent Florentin, Suisse, Génois, Allemand, Espagnol, afflue. J’ai constaté, que la France est peu chère, le labeur va voir accroitre sa valeur. Tu peux me croire Félix, des fortunes vont s’édifier, changer de mains, ceux d’entre nous qui manquerons d’audace, seront laminés, ou considérablement appauvris. Notre Noblesse, doit faire très attention a n’être pas balayée par ces nouvelles races de pirates terrestres qui arrivent, dur au travail, ingénieux, avisés, faisant du commerce sur mer et sur terre leur unique religion. Ils vont devenir les maitres de l’or, et pourront racheter, nos domaines, nos châteaux, car nous ne nous soucions que de guerre, méprisant toute autre activité. Des aventuriers, efficaces, se lèvent dans le peuple, comme une horde de loups affamés qui nous dévorerons tout crus, si nous n’y prenons garde, et restons aveugles à leurs appétits. Oh là !comme tu y vas ! Ici tout est calme !, je ne vois aucun envahisseur, notre paroisse est intacte, et la cloche de notre Eglise, nous rassemble tous. Chacun tient son rang comme toujours, nos dépenses de Cour et de guerre sont lourdes, mais enfin, nous y faisons face. Le Royaume, est fait de nos campagnes, où l’on vit au rythme du soleil, dans une paix simple et laborieuse. Aux semailles, aux moissons, succèdent les vendanges, l’hiver nous réunis, avec ses rires et ses fêtes. C’est cette glaise des jours que nous partageons au plus profond avec nos gents qui nous confère à tous l’œil vif et la mine réjouie. La ville, la Cour, comptent peu. Bien sûr, on leur est dévoues, mais rien ne vaux, rappelle toi, ces matins de la Saint Sansom, où coiffés d’un large feutre, chaussés de confortables bottes, dague aux côtés, sonne pour tous le signal des battues sur nos terres. Ces terres léguées par nos ancêtres. De nos jours, les revenus de nos fermages, les redevances, nous mettent largement à l’abri du besoin. Tu nous dis menacés par une bande de va nus pieds, aux mieux de bourgeois des villes, je n’en crois pas un mot. Tant que dans nos maisons, nous jouirons d’un bon air, d’une belle vue, à l’abri du brouillard, ni trop gelés en hiver, ni trop ébouillantés en été, tant que nos murs hauts et solides nous protègerons, tant que nos caves et nos celliers, logerons, cidre, vin, cerneaux, lard, chairs salées, fruit, huile, chandelles, tant que nos feux brûlerons les buches de nos bois, nous ne risquons rien, rien du tout. Quand à ceux, qui voudraient notre place, je n’en vois aucun, ici, je les connais tous. J’emploie leur temps au mieux. Ils sont contents de leur sort. Nul, n’est oisif, nous sommes constamment occupés au bien commun, si je suis le premier d’entre tous, c’est que Dieu, l’a voulu ainsi. Bien sûr, l’on me doit corvées et redevances, mais pour ma part, je veille à donner de bons conseils, des soins médicaux, aux hommes et aux bêtes. Je porte les armes pour les défendre, j’entretiens l’Eglise qui veille sur leur âme, je partage jeux, divertissements, chasse, volerie, pèche et les festins qui s’ensuivent. Nous sommes membres d’une même famille et avons les mêmes savoirs sur les cerfs, les sangliers, les lièvres, les furets, la perdrix et j’en passe. Tiens ! Souviens- toi, comment à Noel, Mardi –Gras, Carnaval, aux fêtes de nos Saint- Patrons, nous communions ensemble dans un même esprit. Et nos jeux ! T’en souvient-il de nos jeux ! Paume, palet, boules, quilles, luttes, et des danses dont nous raffolons au printemps, sur l’herbe tendre ! Notre fête de village tourne toujours autant les têtes. On y bavarde à qui mieux mieux. Nous mangeons comme quatre, buvons jusqu’à plus soif, dansons comme des possédés. Notre curé, y perd sa gravité et confère avec ardeur, de quelques doctrines, avec nos matrones détendues. Tu te trompes avec tes idées de changement, tout cela est trop solide, trop ancien, trop réel, pour être ébranlé. Je ne dis pas que le monde, ne change pas, mais c’est insignifiant. Tu as peut être raison de penser que le monde est immuable, mais pour ma part, je ne peux y croire. Il a un contour bien plus mystérieux, que l’on tâte avec nos instruments de navigation, nos navires. On y trafique, on y espionne, on y vole. Nos cartes maritimes incertaines, sont le viatique, fragile, qui sert de guide dans l’empire du mouvant. J’ai sauté hors de nos coutumes, de nos espaces quadrillés, de notre ordre établi, pour m’ouvrir aux tourments des désirs, des découvertes, des aventures, des pays nouveaux. J’ai goûté à la peur, à la témérité que donne le danger mortel, à la liberté, aux rencontres fulgurantes et fugaces, à la chair brulante et à la nostalgie de l’esprit. Je cherche mon Salut dans l’inconnu vertigineux du monde, dans l’ivresse prometteuse du départ, dans la beauté des lointains. Je sais, que cette terre de nos pères, dont tu es le chantre, n’est qu’une contrée parmi d’autres. Ses certitudes, ses évidences, ne sont que fumées. Tiens ! Dis moi, comment vont les gents d’ici ? Comment se porte ma famille ? Nos courriers aléatoires n’ont laissés sans nouvelles depuis fort longtemps. Tu arrives à point nommé, tu as l’occasion de les revoir au grand complet. Une bombance a lieu demain en l’honneur de ta tante Pérégrine. Ton oncle Pierre, ne s’est pas remarié. C’est encore, le veuf austère, inconsolable et reclus, qui élève Inès, sous une férule débonnaire. Elle est une véritable sauvageonne. Il est trop faible, il lui passe tous ses caprices, fait ses quatre volontés. Je soupçonne que ses fiançailles avec François vont enfin se clore. Il est temps, à dix sept ans, elle monte en graine. Elle est devenue une grande asperge brune, aux yeux myosotis, à la peau laiteuse, toujours à courir par monts et par vaux. Elle connait comme sa poche chaque pouce du terrain, chaque habitant du domaine. Pendant ton absence, ton oncle a recueilli, Marie de Rabas, la fille d’un ancien compagnon d’armes, orpheline, petite noblesse désargentée. Elle est blonde, potelée, des yeux noirs écarquillés et tranquilles, rougissante comme une pivoine entre deux fous rires espiègles. J’essaie de la serrer de près, mais elle s’enfuit comme une anguille. Elle est à l’opposée de la morgue distante d’Inès, celle-ci ne baisse que tardivement les yeux, trop de latin, de grec et autres fariboles, ont fait leur petit effet. Quel besoin a t-on d’apprendre à lire aux filles ! Leur seule science doit être de nous servir, d’être à nos petits soins, de tenir notre ménage, et non pas comme ta cousine se remplir d’orgueil, et de mauvaise foi raisonneuse. Qu’elle véhémence ! Est –elle jolie au moins ? Je me souviens de nos escapades d’enfants dans les bois et les prés, je n’arrivais jamais à la décrocher, elle collait comme la boue aux souliers. J’avais beau, lui tirer les nattes, jeter ses bonnets au ruisseau, rien n’y faisait. Louis, toujours indulgent avec elle, la consolait, et nous défendait de la faire pleurer en enlevant les œufs des nids, ou en explorant l’intérieur des grenouilles. A cette époque, elle affichait un air ingrat des moins prometteur.
 
 
Mon Dieu ! Quand elle le veut, elle est délicieuse, diablement attirante, attifée comme il se doit, adoucie, un oursin sans piquants. Tu t’imagines l’avoir domptée, être le maitre de cette cavale, mais avise toi d’exercer tes pouvoirs, et il t’en cuit. Les griffes de ce démon, sont prêtes et aiguisées, tu en tâte avant d’avoir compris ce qu’il t’arrive, depuis, je passe au large, et je m’intéresse à Marie, bien mieux à ma convenance .Inès, avec ses dix sept ans chatoyants, ne deviendra qu’un être raffiné et dur, qui craindra ses propres faiblesses, sans les éviter. Toutes ses chutes seront voluptueuses, à la foi désirées et haïes. J’entrevois clairement, un futur brasier sous son ronronnement de chatte. La soirée de demain est l’évènement le plus couru de la région, certaines Demoiselles se sont damnées pour y être invitées. J’ai l’intention d’y lutiner Marie. Même si ton oncle veille, c’est superflu, il y a en elle une vertu aimable, qui tient à distance mes folies. Je rêve de sentir son cœur battre au creux de ma main, de faire ployer sa taille avec force, sans brutalité, de savourer le bonheur exquis de la voir céder sous mes caresses, de noyer son corps d’extases. Tu vois, elle m’a transformé en un de ces flandrins lyriques, incapable de prendre sans demander, soupirant son vague à l’âme au lieu de terrasser d’un assaut décisif. Si je m’attendais à te trouver amoureux ! Te voilà prisonnier d’un jupon qui virevolte, que tu chasses avec un filet à papillon en guise d’armes, très drôle ! Tu ne m’as rien dit sur Louis ? et, François de Lansac ? Que sont ils devenus ? Ce dernier est il toujours aussi fourbe et chafouin, uniquement préoccupé de sa personne et de ses intérêts ? Ma foi, ils changent peu. Louis reste le même grand rêveur exalté et fantasque, embrassant des causes perdues, pourvues qu’elles soient belles. Il est devenu une fine lame, et le meilleur des compagnons, toujours prêt pour l’aventure grande ou petite, toujours enchanté de boire et de manger, de caresser les filles. Il se ferait tuer pour ses amis. François, lui, eh bien, il est courageux mais il ne s’expose pas, il a une tête bien trop politique pour cela. A nos farouches bagarres, il préfère les causeries des conseils, les rumeurs des couloirs, le service des Grands. Son combat n’est pas le notre, mais il est réel. Il fait peu de cas du courage physique, que nous prisons tant. Je pense qu’il brûle d’ambition, mais il le dissimule bien, et il faut le connaitre comme moi, pour le flairer, sous ses airs indifférents. Il est affable et courtois sans servilité, son amabilité, dont il ne se départ jamais, est une arme redoutable . Louis est conquis et le trouve parfait, un modèle. Bref, François, suit les traces d’Armand son père. Pérégrine, sa belle mère, le sert de son entregent à la Cour. Ils se tiennent proche des catholiques fervents, tels que Diane de Poitiers et son ami le Connétable de Montmorency, tout en veillant à ne pas se compromettre trop visiblement. Pour l’heure tous deux étaient de service auprès de Roi. Ils apprennent la courtisanerie, l’air de notre temps. C’est ton oncle Pierre qui les a introduits, ses services à Marignan et à Pavie, n’ont pas été oubliés. Leur quartier vient de se terminer et ils seront là demain. Le soleil commence à être bas, je suis sec. Tient, fait moi donc passer, mon pourpoint et mes chausses, je dois rejoindre Montmirail et saluer ma mère, dont je crains l’ effet réunis, de sa peine et de sa colère. Elle ne m’a écrit que très parcimonieusement. Allez, au revoir, et à demain.
 
 
 
 
 
J’aperçois les Demoiselles sur la terrasse, je les observe avidement depuis l’embrassure de la porte. Je suis là depuis un long moment cachée, dans les plis de la tenture d’un rouge dont elles disent qu’il est garance, ces gens du beau monde, parlent avec des nuances que nous, le peuple, ignorons totalement. Nous nous vivons comme des rats maigres et noirs, à qui, les jours de fêtes, on offre au mieux du cervelas et des légumes avec moins de parcimonie qu’à l accoutumé. Je les méprise pour leur aveuglement, leur égoïsme, ce sentiment qu’elles ont de se croire le sel de la terre, car nées au bon endroit, celui qui cumule toutes les richesses de ce bas monde, mais ce sentiment qui me ronge, n’est que le revers, pitoyable, de mon envie. Oui, c’est cette envie d’être à leur place qui me tient là, cachée derrière ce velours que moi, je vois d’un carmin somptueux, c’est cette envie furieuse, qui me fait fuir, dès que l’occasion se présente, pour les espionner, la cuisine et ses odeurs de graillon, qui imprègnent si bien mes misérables hardes et mes cheveux. Même le dimanche, j’en sens encore l’épaisse trace rance sur moi, c’est un cauchemar perpétuel, un stigmate sans remède. Je suis assignée à ma condition par ce sillage de pauvresse, alors que, pour elles, je confectionne des onguents à la rose, aux iris, et, même si, j’en vole un peu, pour mon propre usage, le mélange de ces deux odeurs sur moi , me rend encore plus nauséabonde. Voilà, je les regarde et les regarde, sans pouvoir rompre le sortilège, tout comme, les ivrognes regardent leur bouteille, avec le même mélange de concupiscence et de dégout. Je suis rongée, par désir sauvage d’occuper un jour cette place là, de me vautrer à mon tour dans le luxe, la soie, l’insouciance. Elles n’ont rien de plus que moi, je suis, tout autant qu’elles, vivante, ici et maintenant, mais Dieu, n’a pas voulu que je reçoive à la naissance, les mêmes avantages. Le curé a beau dire qu’il nous aime toutes comme ses filles chéries, d’un même amour, j’en doute, car, c’est un bien mauvais père qui donne beaucoup aux unes, et rien, aux autres en partage. Mais, je dois le reconnaitre, quoique j’en ai, elles sont gracieuses et dissemblables ! Marie frêle, blonde est une lumière douce et tranquille. On la pense de prime abord effacée, mais elle est de ces personnes opiniâtres qui s’imposent comme par magie, sans élever la voix, sans qu’il y paraisse. Inès la fille adorée, est toute en aspérités, en voltes faces, elle a l’éclat dur et éblouissant du diamant, c’est toute entière une Saint –Gemme, pétrie d’orgueil et de fierté. Avec moi, qui parfois lui sert de femme de chambre, elle est tour à tour amicale et pleine de morgue, impatiente et rude quand je ne fait pas mon service, assez vite à son gré. Que leur réserve le destin ! Richesses et fortune sur un plateau d’argent bien sûr ! Elles sont à présent le point de mire des gentilshommes, cela est bien normal, mais, pour le Maître les perdre, fera de ce château un tombeau sinistre, et la première atteinte de la vieillesse, se joindra à sa mélancolie habituelle. Il promènera, son sourire de spectre courageux, sa silhouette lasse et penchée dans ces couloirs immenses, sans proférer la moindre plainte. Sa solitude suintera , au point de tapisser nos jours d’un linceul respectueux de sa douleur. Quand je suis arrivée il y a six mois dans cette place, les autres servantes se sont empressées de me raconter son histoire. Le Maître, depuis mon retour définitif d’Italie et des guerres, mène une vie solitaire et rangée, sans la moindre la moindre amourette. Il ne lutine pas les servantes, comme ils le font tous, il dit à son fils que cela lui laisserait un goût de poussière dans la bouche. Il est bien le seul de son espèce, les autres Maîtres du voisinage, agrippent leurs servantes dociles, consentantes ou pas. La chambre verte, qui ici, accueille régulièrement ces hommes là , a vue presque toutes mes compagnes culbutées, de gré ou de force. Elles ont mordue la courtepointe émeraude, rentrant leur râle dans leur gorge, heureuses si l’homme ne s’attardait pas, contentes quand elles leur déplaisaient suffisamment pour qu’il n’y revienne pas. La chambre verte, mériterait d’être rouge, rouge de la honte vécue, rouge du sang, des règles ou des coups, rouge de la passion, mais celle du Christ, en route vers la mort. Quand au Maître, pour y revenir, après tout il a l’âge de l’amour sans amour, celui qu’il monnaye chez Madame Lucie, une fois par mois, ses sens rassis se contentant de cette visite régulière et discrète. Qu’attendre de la vieillesse ? Cette vie de reclus que mène le Maitre ? Je haie ma vie toute tracée, rabougrie et obscure. Je suis là, cahée, je les dévore des yeux, nul ne me voit, et je sais dans ma chair la fragilité des jours, si fugaces, que la mort anéantit sans trêves., Je veux une autre part, de cette grande inconnue que l’on nomme la destinée, avec son lot de tendresses, de deuils, d’espoirs, de souvenirs et de triomphes, surtout, de triomphes ? J’ai vu les cheveux de ma mère blanchir prématurément à cause de sa vie harassante, et de la mort de la marmaille que mon père lui faisait avec régularité. Toujours enceinte, toujours en deuil. J ai été la seule à survivre. Elle, n’était pas bien vieille, mais au bout du rouleau, quand la Faucheuse est venue, tirant des glaires sanglantes de sa poitrine creuse et fanée. Son temps n’ a été que cauchemar. Elle est passée à tire d’ailes, vite emportée par un destin mauvais. Je suis, seule, à présent, vivant dans mon propre théâtre d’ombres, dévorée par une réalité amère. La douleur et la tristesse ne m’ont plus quittée, depuis sa mort, l’an passé. La perdre à quinze ans, a été tout perdre, car mon père cet ivrogne avait disparu dès les premières fièvres qui l’avaient clouée sur son grabat. Elle ne pouvait plus lui assurer la pièce pour ses soirées de beuverie, avec ses compagnons de jeux, les autres ivrognes du coin, dans leur bouge aussi crasseux qu’ eux. Il est parti se mettre en ménage avec la première souillon venue. Je les hais tous les deux et quand il m’a proposé de venir chez eux, dans leur porcherie, après la mort de maman, je lui ai craché au visage, et par chance, juste semaine suivante , j’étais au service du maître. J ai cela en commun avec Mademoiselle Inés, ni l’une ni l’autre, n’avons de mère. Elle, elle est venue au monde en tuant la sienne et par la même occasion, la joie de vivre de son père. Bien sûr, il a continué à l’aimer, m a –t –on dit. Il a continué à exister pour Saint –Gemme, le Roi, sa descendance, mais chacun de ses jours était voilé de cendres, leur éclat et leur rutilance corrompu. On le voyait abreuvé par une peine sans fin, fermer les paupières et glisser en voleur, en fantôme, en supplicié, dans son passé évanouit. Tout en époussetant, la chambre de la défunte, restée inchangée depuis sa mort, chambre où nul, ne pénètre sauf le Maître, et nous quand il est temps de la dépoussiérer, elles m’ont raconté par le menu, la naissance de la Demoiselle, avec des trémolos dans la voix. Elles aiment beaucoup le pauvre Maître, le pitoyable veuf inconsolable. Il était dans la bibliothèque quand a retenti la voix joyeuse, triomphante de Françoise, celle qui est la gouvernante à présent, et qui m’a prise au service de la Maison. Elle envahie tout l’espace, enveloppe tout le château, monte aux cieux en houspillant aigrement, son aide du moment : Allez, allez, va, mais va donc sonner le carillon de la chapelle. C’est une fille, elle est née à trois heures du matin, à l’heure la plus noire, de ce vendredi ensoleillé. Un jour béni, sec et enneigé avec un magnifique ciel bleu lilas, si pur, si frais, si éclaboussé de lumière .Dépêche toi ! Court pour que tous à saint-Gemme et aux alentours, le sachent, allez, allez file ! Anne ! Vient avec moi, laisse tomber ton balaie. Te voilà nourrice. Tu vas la voir, si mignonne, avec sa touffe de cheveux noirs, très menue, le contraire de son frère, si blond et si grand pour ses trois ans, un vrai démon, où est il encore passé ? Il a vu la petite et a filé, Dieu seul sait où ! Il faudra voir s’il est dans les communs avec Jacques le jardinier. Cet enfant dès qu’il lui en prend fantaisie, va voir les poules et les chiens de la meute, il est fasciné. Où peut –il être ! Je ne peux pas avoir constamment l’œil sur lui, et toi, espèce de sotte, d’empotée, tu restes les bras ballant au lieu de ranimer le feu pour Madame qui a bien besoin de reprendre des forces après son épreuve. J’ai eu bien peur, j’ai vu la matrone déconcertée trembler. Mais bon ! La petite a fini par venir. Quand le Maitre l’a vu, ses yeux ont brillés de joie, il a pris le bébé dans ses bras, je l’ai vu fondre. Je l’ai entendu tousser, et tousser, pour faire passer l’émotion. C’est Madame qui l’a fait revenir à lui, elle voulait savoir si la petite allait bien. Si tu avais vu comme il l’examinait balourd et maladroit ! La matrone allait et venait, elle lui a pris la mignonne qui criait, sa mère pleurait de joie et de fatigue, pendant que Monsieur lui tapotait la main en lui disant : » Là, là mon ange tout va bien ! Il vous faut du repos, beaucoup de repos. Vos chambrières, vont s’occuper de vous, puis après avoir dormi, vous serez aussi fraiche que nos roses. Je retrouverai ma petite femme à moi, pour nos longues promenades à cheval dans nos bois, nos mystères et nos ris. «  C’est étonnant comme le Maitre aime Madame ! Il n’a pas les rudes façons des seigneurs d’alentour. Si cela se trouve, c’est à cause de l’Italie, de ces carnages inutiles, des lectures qui ont dévorées son temps au retour, des tableaux qu’il a suspendu à droite à gauche, de cette folie de percer des fenêtres, bref de changer de fond en comble le château de ses pères. De l’air ! De l’air ! Disait –il comme un furieux. Oui da ! Je vous laisse à penser le chauffage en hiver, une ruine, et il nous faut entasser châles sur châles, sans réussir à avoir chaud. Et tout ce nettoyage ! D’ailleurs, demain tu attaques la bibliothèque de la tour ronde, où loge ce visiteur italien malpropre, un mage bien en Cour m’a- t- on dit, noir comme un pruneau des pieds à la tète, des yeux aussi perçant que les cris de nos corbeaux. Il m’a glacé les sangs, Jacques affirme que depuis son arrivée le lierre meurt. Je te conseille de ne pas trop t’en approcher, si tu veux avoir des enfants, car qui sait, il peut rien qu’en te regardant nouer l’aiguillette de ton homme, et hop !!!! Tes espérances au Diable. Enfin les cloches ! Cela me donne envie de danser autour de la table et de taper sur toi pour te dégourdir. Quoi ! Vient ici idiote, satanée peste, comment as-tu fait pour renverser le lait de poule sur le linge de madame, que j’ai passé des heures à blanchir et à repasser. Triple buse, je vais tanner ta peau comme un tambour. Salle punaise des bois, tu ne perds rien pour attendre. Tu file gueuse mais ……… Ah ! Vous voilà Louis, où étiez vous passé ? Que tenez-vous derrière votre dos ? Montrez ! Montrez ! Oh le mignon ! Quelle délicatesse ! Un chaton tout blanc et un bouquet d’herbe pour votre sœur ! Quel bon cœur ! Mais elle ne peut s’en occuper tout de suite, vous le ferez à sa place. Mais oui, bien sur mon oiseau ! Venez ici mon ange et vous aurez votre morceau de brioche, après m’avoir donné un baiser. Quand vous l’aurez fini, nous irons sur la pointe des pieds dans la chambre de votre mère, qui repose, vous lui donnerez un baiser léger, comme un duvet de cygne.
 
 
Oui, la vie du château, à ce qu’elles racontent, ce jour là est encore belle, chaude, palpitante, elle repose dans leur histoire, comme un oiseau de Paradis. Françoise gronde, régente son monde, jeune et rocailleuse comme un torrent de montagne, le bonheur bat son plein, à l’unisson des cloches. Trois jours plus tard, la comtesse, mourrait. Ses parents, qui l’adoraient sont deux ombres poignantes dans la nuit du château. Le Maître, leur confie la gestion du domaine, des enfants et rejoint le Roi, François pour le servir. On dit qu’il s’est exposer avec une folle témérité, mais que tout au long des années, la mort n’a pas voulue de lui. Il revenait à Saint –Gemme pour de courts repos. Louis, l’héritier du Nom, le regardait gravement, admirait mon allure martiale, rêvait à des aventures héroïques bien loin de la sordide réalité des combats et n’osait se jeter dans ses bras. Inès était une vive et farouche enfant qu’il devait, à chaque fois, apprivoiser. Son amour envers lui était tendu comme une flèche par une rancune souterraine et inavouée .Elle ressemblait peu à sa mère, aussi son père l’aimait-il sans réserve. Le remord de ne pas les voir grandir, les défaites militaires, le temps qui fuit, le décès de mes beaux parents, tout s’est conjugué, et il est revenu. Depuis, il soigne chez ses enfants les traces de ses absences. Parfois, j’en ai été témoin cela échoue, ils font front, deux êtres brusquement trop sérieux qui ne font plus qu’un. Hostiles brusquement, ils tolèrent leur père en lisière de leur vie, l’arrêtent au seuil de leur territoire. Cette connivence jalouse est leur force, le Maître est prêt à tout pour rentrer en grâce. Je ne saurais dire si elle les armes pour la vie, à mon sens le sentiment de puissance qu’elle leur donne, surtout à Mademoiselle Inés, est une des pires parmi nos faiblesses, elle enlève la lucidité nécessaire à la mesure du danger. Louis est un rêveur, a qui il arrive parfois d’agir avec un à propos stupéfiant, alors qu’on le croyait à mille lieux de là. Il épaule inconditionnellement sa fantasque sœur, qui sait elle être pragmatique et dure et bizarrement parfois généreuse.
 

Version du 12 mars 2018 à 18:39