Doc:Inspiration, intertextualité, plagiat

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Si le plagiat est moralement et pénalement condamnable, l'intertextualité est un hommage rendu à la littérature. Encore faut-il savoir différencier l'un de l'autre. Mais avant de le faire, partons de l'inspiration.

Inspiration

On conçoit mal un individu qui écrirait ex nihilo. Déjà, pour apprendre à écrire, il faut lire. Nos tout premiers textes lus nourrissent nos tout premiers textes écrits. Par la suite, le phénomène se complexifie : ce qu'on a lu, vu, entendu, procure la matière — qu'on appelle inspiration — dont l'imagination se saisira pour créer par des jeux de décomposition et recomposition.

Documentation

L'inspiration est plus ou moins consciente. Dans sa version la plus inconsciente, elle échappe à la personne inspirée. À l'autre bout se situe la documentation qui cherche intentionnellement à constituer la matière nécessaire à l'élaboration d'un sujet donné.

La documentation est indispensable à l'écriture d'un essai. Une fiction cache souvent un ou plusieurs essais.

Plagiat

Plagier, c'est copier à l'identique de longs passages d'un texte écrit par autrui sans citer sa source. Juridiquement, c'est une forme de contrefaçon (comme me le souffle Wikipédia). En outre, le bon sens nous laisse facilement voir que c'est une imposture de raconter qu'on a écrit un livre quand on n'a fait que le copier.

Copier à l'identique (par convention entre guillemets ou en italique) un court passage d'un texte existant en en citant la source — ce qu'on désigne par citation — ne relève pas du plagiat.

La citation, d'usage courant dans les essais et autres écrits universitaires, rend crédible le contenu textuel, il indique que l'auteur a travaillé son sujet, qu'il est cultivé.


Cette différence entre plagiat et citation souffre d'une première imprécision : où s'arrête le « court passage », où commence le « long » ?

On peut considérer que si j'ai copié un paragraphe en citant ma source, je ne suis pas plagiaire, peut-être même deux paragraphes... Ou trois ? Quatre ? La citation de la source semble constituer l'élément essentiel.

Droits d'auteur

À la question de l'illégalité et l'immoralité du plagiat, s'ajoute la question économique (et également morale) des droits d'auteur : on ne peut pas diffuser l'œuvre d'une personne vivante, même si on la cite, sans son consentement ni sans lui verser des droits d'auteur (dont le montant est convenu de gré à gré) ; cela s'applique même aux ayants droit, en France, pendant les soixante-dix ans suivant la mort de l'auteur.

Corrélativement, cela signifie que l'on peut éditer librement les écrits d'une personne décédée depuis plus de soixante-dix ans. On peut même les commenter, les compléter.

Là encore, la citation de la source évite de tomber dans le plagiat.


Notons enfin que les droits d'auteur s'appliquent à l'ensemble d'un ouvrage et non aux idées prises isolément. Le plagiat suit nécessairement ce principe, sans quoi il faudrait exclure du livre que l'on veut écrire toutes les idées de voyage dans le temps, d'enquête policière sur un meurtre ou une disparition, d'amour entre deux personnes, de jalousie, de robots intelligents se révoltant contre les humains, de casse, de politiciens ambitieux, de complots, de rapports difficiles entre une mère et sa fille et de millions d'autres, y compris celle de cet article sur l'inspiration, l'intertextualité et le plagiat.

Intertextualité

L'article de Pierre-Marc de Biasi « Théorie de l'intertextualité » du dictionnaire des genres et notions littéraires d'Universalis définit l'intertextualité comme

un des principaux outils critiques dans les études littéraires. Sa fonction est l’élucidation du processus par lequel tout texte peut se lire comme l’intégration et la transformation d’un ou de plusieurs autres textes.

On peut en déduire qu'il appartient à la critique de trouver les liens d'un récit donné avec d'autres productions littéraires.

L'auteur ou l'autrice d'un texte peut parfaitement ignorer ces liens et dans le cas contraire, n'est pas tenue de les signaler.

La littérature est un patrimoine commun dans lequel deux auteurs n'ayant aucun lien direct entre eux peuvent puiser les mêmes éléments.

Un auteur peut aussi chercher à établir une complicité avec son lectorat en évoquant des scènes lues dans des récits connus.

En savoir plus sur l'intertextualité

Pierre-Marc de Biasi, dans l'article cité, souligne qu'on parvient à la définition donnée après de nombreux débats.

Mikhaïl Bakhtine introduit le concept (sans le terme) :

Mikhaïl Bakhtine : Poétique de Dostoïevski (Seuil [Points Essais], 1998) - - première édition : 1929

Julia Kristeva, qui préface la traduction française de La poétique de Dostoïevski, reprendra le concept avec ses amis du groupe de la revue Tel Quel — Philippe Sollers, son fondateur, Michel Foucault, Roland Barthes, jacques Derrida.

Collectif Tel Quel : Théorie d'ensemble (Seuil [Points], 1968)
Julia Kristeva : Sèmeiotikè. Recherches pour une sémanalyse (Seuil [Points Essais], 2017) - - première édition : 1969
Dans cet essai, Julia Kristeva parle de « la découverte de Bakhtine » qu'elle décrit ainsi :
tout texte se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte.

Un peu plus tard, Mikhaïl Bakhtine développera lui-même son concept :

Mikhaïl Bakhtine : Esthétique et théorie du roman (Gallimard [Tel], 1987) - - première édition : 1975
Mikhaïl Bakhtine : Esthétique de la création verbale (Gallimard [Tel], 2017) - - première édition : 1979

Il sera suivi, entre autres, par Tzvetan Todorov qui lui consacre un ouvrage :

Tzvetan Todorov : Mikhaïl Bakhtine. Le principe dialogique (Seuil, 1981)

Gérard Genette revisitera d'un œil critique les définitions post-Bakhtiniennes et élargira la notion à la transtextualité comprenant, outre l'intertextualité, la paratextualité (tout ce qui gravite autour du corps du texte comme les titres, les illustrations, la quatrième de couverture, les notes de bas de page, etc.), la métatextualité (commentaire du texte sans forcément le citer, allusion), l'hypertextualité (imitation d'un texte), l'architextualité (lien de proximité par un titre par exemple)  :

Gérard Genette : Palimpsestes : la littérature au second degré (Éditions du Seuil, 2014)

Voilà pour l'essentiel. On lira l'article cité de Pierre-Marc de Biasi pour se faire une idée plus précise concernant les débats qu'a suscités cette notion... et qu'elle suscitera encore si l'on en croit la conclusion de cet article :

Le concept d’intertextualité, loin d’être parvenu à son état d’achèvement, entre vraisemblablement aujourd’hui dans une nouvelle étape de redéfinition.


Dans le même dictionnaire des genres et notions littéraires d'Universalis, on trouve l'article de Roland Barthes, « la théorie du texte » qui introduit officiellement les termes intertexte et intertextualité et en développe le concept pour la première fois, en 1975, dans une encyclopédie réputée.

On peut s'étonner que ledit dictionnaire ne comporte pas une entrée Transtextualité.

Citation dans la fiction ?

Nous avons vu que la citation s'avère nécessaire dans l'essai. Par ailleurs, elle permet d'échapper à l'accusation de plagiat (attention tout de même aux droits d'auteur). Toutefois, outre le fait qu'on imagine mal un roman truffé de notes de bas de page, le concept d'intertextualité ne nous incite pas à signaler nos emprunts ; nous laissons cela aux critiques littéraires qui débusqueront même ceux que nous n'avions pas imaginés.

Cependant, on peut toujours craindre des avocats zélés, sachant toutefois qu’ils n'agiront que par intérêt d'un auteur ou de ses ayants droits... Donc jamais plus de soixante-dix ans après le décès de celui-là.

Quelques cas intéressants : → « C’est pas du plagiat, c’est... » : dix défenses de mauvaise foi (L'obs/Rue89)

Conclusion

Il est peu probable de s'attirer des ennuis en s'inspirant d'auteurs morts depuis plus de soixante-dix ans.

Pour les autres, on ne risque rien en reprenant des idées — qui seront souvent elles-mêmes des idées reprises et il n'est pas rare que l'on remonte ainsi jusqu'à la mythologie.

Par contre, il faut éviter de recopier des phrases entières.

Considérant qu'une fiction enveloppe toujours un ou plusieurs essais, je pense que pour remplacer les notes de bas de page, on peut remercier, à la fin de l'ouvrage, les auteurs de nos sources.

Bibliographie

Marie Darrieussecq : Rapport de police (Folio, 2011)

Accusations de plagiat et autres modes de surveillance de la fiction


J'avoue, j'ai plagié. Pas vous ? (Revue Décapage n°44)